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LA MARQUISE DE GANGE

alors à Avignon. Vers l’automne le voyage de Ganges, éloigné d’Avignon de 19 lieues, se projetta pour y passer toute la saison.

La marquise avoit déjà échappé à une crême empoisonnée, dont elle n’avoit eu que peu d’incommodité ; et par pressentiment voyant qu’elle alloit se trouver seule environnée de ses ennemis, elle résolut de faire, avant de partir, son testament, par lequel elle fit sa mère son héritiere, à la charge d’appeller à sa succession, ou son fils à elle, âgé de six ans, ou sa fille âgée de cinq ans, à son choix. Elle fit ensuite, en présence de plusieurs magistrats d’Avignon, et de plusieurs gens de qualité, une déclaration authentique, par laquelle elle révoquoit tout autre testament postérieur : puis elle partit. Sa belle-mère qu’elle trouva à Ganges, le marquis, l’abbé et le chevalier la comblèrent de bonnes façons. Ces deux derniers ne paroissoient plus amoureux, mais des amis remplis de politesse. Enfin la belle-mère partit pour Montpellier, et le marquis, pour ses affaires, à Avignon : l’abbé et le chevalier restèrent seuls avec elle. L’abbé, par de douces insinuations, la détermina à faire un nouveau testament en faveur de son mari, et croyant que cela suffisoit, il ne lui parla point de rétracter sa déclaration d’Avignon. Cela fait, ils ne songerent plus qu’à accomplir le crime projetté. Ils le manquèrent dans une médecine, parce que la marquise la trouva si épaisse et si noire, qu’elle s’en tint, pour se purger, à des pilules qu’elle portoit avec elle : c’étoit le 17 mai 1667. Voyant donc leur coup manqué, ils résolurent de se satisfaire ce jour