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LA MARQUISE DE GANGE

même à quelque prix que ce fût. Comme elle étoit dans son lit, plusieurs dames la vinrent voir : elle leur fit servir la collation, où elle mangea beaucoup. Le chevalier et l’abbé, qui étoient de la compagnie, avoient un air fort distrait. L’abbé reconduisit les dames : le chevalier resta seul avec elle dans un morne silence. Peu après l’abbé rentra, tenant d’une main un pistolet, et de l’autre un verre de poison : il avoit alors le regard terrible ; il ferma la porte et s’approcha du lit. Le chevalier alors mit l’épée à la main, ayant la fureur également peinte sur le visage. L’abbé parla, et dit : Madame, il faut mourir : choisissez le feu, le fer au le poison. On juge bien qu’elle employa les termes les plus touchans pour attendrir ces deux scélérats : mais ils furent impitoyables ; et la pressant de plus en plus de faire son choix, elle se résolut au poison, qu’elle avala pendant que l’abbé lui tenoit le pistolet sur la gorge, et le chevalier l’épée contre l’estomac. Comme le plus épais restoit au fond, le chevalier le rassembla avec un poinçon d’argent, et lui redonna le vase. Elle prit ce reste dans sa bouche, et faisant un cri comme si elle alloit mourir, elle laissa aller ce reste dans ses draps. Elle finit cette scène par les supplier instamment de lui envoyer un confesseur. Etant sortis tous deux, ils allerent avertir le vicaire, nommé Perrette, ci-devant précepteur du marquis, et qu’ils avoient associé à leur complot.

Aussi-tôt qu’ils furent hors de sa chambre, elle se leva avec seulement un jupon de satin, et songeant à se sauver, elle gagna une fenêtre qui donnoit sur la basse--