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LA MARQUISE DE GANGE

moyen, d’abord je me défais d’un rival qui, pour avoir trop cédé à mes instigations, finirait par me supplanter, et je place la marquise dans un tel discrédit près de son mari qu’il l’abandonne ou la punit, deux résultats qui me la livrent.

Ce calcul était épouvantable, sans doute ; mais qu’attendre d’une âme aussi corrompue que celle de Théodore ?

— Deux choses m’ont paru fort bizarres dans les événements de notre promenade d’hier, mon cher abbé, dit la marquise, dès qu’elle fut seule avec Théodore. Dans la première, celle qui m’affecte le plus vivement, il s’agit des soupçons que vous avez cherché à me donner sur la conduite très naturelle de mon mari avec mademoiselle de Roquefeuille ; la seconde a pour objet le développement de la circonstance très singulière qui, m’ayant fait évanouir pour ainsi dire dans vos bras, m’a fait cependant retrouver dans ceux de Villefranche, aussitôt que mes yeux se sont rouverts. Comment est-il que vous ayez si légèrement cédé à un étranger le droit que vous aviez de me rendre vous-même les soins que je ne devais dans ce cas attendre que de vous ? Et comment se fait-il que Villefranche ait profité de cela dans le reste de la promenade pour me tenir des propos qu’il hasarda deux ou trois fois, et que j’ai constamment repoussés ? C’est à vous seul, mon frère, qu’il appartient de me dévelop-