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LA MARQUISE DE GANGE

l’on s’égare tous les jours, autant à croire aveuglément ce qu’on désire qu’à rejeter impitoyablement ce que l’on craint. De tous les mouvements qui maîtrisent nos âmes, l’espoir est le plus trompeur. Rappelez-vous le sujet de ce beau tableau que vous admirâtes à Paris, et dont nous avons quelquefois parlé cet hiver. L’espoir, vous le savez, accompagnait l’homme à la mort ; il l’éclairait d’une lampe dont la lumière semblait s’éteindre au moment où le spectre renfermait sa proie dans le tombeau. Tel est l’espoir dans toutes les situations de la vie ; fils du désir, tant qu’il le peut, il nous soutient ; et lorsque la vérité vient offrir la nullité de ce désir, l’espoir s’échappe, et nous restons avec le malheur.

— Votre exorde est bien sombre, mon frère, dit la marquise. — Ma sœur, la vérité le dicte, mon amitié vous le présente : croyez donc maintenant à mes paroles. L’intrigue que vous redoutez n’est que trop réelle ; il y a plus de quatre mois que je m’en suis aperçu ; et ni l’un ni l’autre de ces deux coupables n’ont pu tromper mon discernement. Des soins qu’ils ont pris pour se déguiser aux yeux de madame de Roquefeuille, ont dû nécessairement résulte les voiles impénétrables qu’ils ont jetés sur l’illégitimité de leur commerce. J’avoue que je ne puis comprendre où veut en venir mon frère, qui est marié, avec une personne qui ne l’est pas ; et ce sont les suites de