Page:Sade - La nouvelle Justine, ou les malheurs de la vertu, suivie de L'histoire de Juliette, sa soeur, tome 1, 1797.djvu/123

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rive à nous que moralement, et les sensations morales sont trompeuses ; il n’y a de vrai que les sensations matérielles. Ainsi, non-seulement deux cens louis sont assez pour les six meurtres ; mais trente sous même eussent suffi à les légitimer : car, ces trente sous nous eussent procuré une satisfaction qui, bien que légère, doit néanmoins nous affecter beaucoup plus vivement que n’eussent fait les six meurtres qui ne nous affligent et ne nous touchent en quoi que ce puisse être, et de la lésion desquels il n’arrive même à nous qu’un chatouillement assez agréable, d’après la méchanceté naturelle des hommes, dont le premier mouvement, s’ils veulent l’étudier avec soin, est toujours une sorte de satisfaction du malheur et de l’infortune des autres.

La faiblesse de nos organes, le défaut de réflexion, les maudits préjugés dans lesquels on nous a élevés, les vaines terreurs de la religion et des loix ; voilà ce qui arrête les sots dans la carrière du crime ; voilà ce qui les empêche de s’immortaliser. Mais tout individu rempli de force et de vigueur, doué d’une ame énergique, qui, se préférant comme il le doit, aux autres, saura peser leurs intérêts dans la balance des siens, se moquer de