Page:Sade - La nouvelle Justine, ou les malheurs de la vertu, suivie de L'histoire de Juliette, sa soeur, tome 1, 1797.djvu/16

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Si, plein d’un respect vain, ridicule et superstitieux pour nos absurdes conventions sociales, il arrive malgré cela que nous n’ayons rencontré que des ronces où les méchans ne cueuillaient que des roses, les gens naturellement vicieux par systême, par goût, ou par tempéramment, ne calculeront-ils pas, avec assez de vraisemblance, qu’il, vaut mieux s’abandonner au vice que d’y résister ? Ne diront-ils pas, avec quelqu’apparence de raison, que la vertu, quelque belle qu’elle soit, devient pourtant le plus mauvais parti qu’on puisse prendre quand elle se trouve trop foible pour lutter contre le vice, et que, dans un siècle absolument corrompu, comme celui dans lequel nous vivons, le plus sûr est de faire comme les autres ? Un peu plus philosophes, si l’on veut, ne diront-ils pas, avec l’ange Jesrad de Zadig, qu’il n’y a aucun mal dont il ne naisse un bien, et qu’ils peuvent, d’après cela, se livrer au mal tant qu’ils voudront, puisqu’il n’est, dans le fait, qu’une des façons de faire le bien ? N’ajouteront-ils pas, avec quelque certitude, qu’il est indifférent au plan général que tel ou tel soit bon ou méchant de préférence ; que si le malheur persécute la vertu, et que la prospérité accom-