Page:Saint-Amant - Œuvres complètes, Livet, 1855, volume 1.djvu/154

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ELEGIE À DAMON.


Damon, je languissois dans un sombre silence,
Suivant de mon humeur la froide nonchalence,
Quand cet œil gracieux, dont tu te sens espris,
En te bruslant le cœur éclaira mes esprits.
Lors mille hauts sujets reveillerent ma veine,
Et, publiant sa gloire en dépeignant ta peine,
Je mis la Muse en œuvre, et taschay par mes vers
De le faire briller aux bouts de l’univers.
Les voyans si hardis à chanter sa louange,
Ô vous qui les orrez, ne trouvez point estrange
Qu’il leur ait inspiré, d’un eclat nompareil,
La fureur d’Apollon, puis que c’est un Soleil.

Depuis, entretenant ce beau feu qu’il allume,
Il a tousjours receu quelque fruit de ma plume.
J’ay fait dire à mon lut qu’Orante seulement
Eleve tous les cœurs dans le ravissement ;
Et lors, sans vanité, qu’il chante ses merveilles,
Il ne transporte pas, possible, moins d’oreilles ;
Mais elle en est la cause, on l’en doit admirer,
Et luy donner l’honneur que j’en pourrois tirer.

Pour moy, comme je puis, par tout je m’en acquitte,
Sçachant que la Raison, qui connoist son merite,
Requiert que le devoir ne se puisse assouvir
En moy de la louer, en toy de la servir.