Page:Saint-Bernard - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome 2, 1866.djvu/303

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mais plutôt de la cruauté ; tout autre tempérament n’a point sa source dans le discernement, mais dans la confusion, quand il nourrit celle qui est stérile, c’est-à-dire quand il n’est qu’une concession faite aux concupiscences d’une chair inutile, et n’a point pour but le bien de la veuve, c’est-à-dire quand il ne favorise point la culture des vertus de l’âme. Bien que privée de temps en temps de la présence de son Époux céleste, cette épouse ne laisse point cependant de concevoir et d’enfanter de l’Esprit-Saint des sentiments immortels qui peuvent mériter un jour dans le ciel une récompense incorruptible, s’ils trouvent ici-bas une culture pieuse et zélée. Les abus se propagent partout et finissent par passer pour être dans l’ordre.

18. Il n’est presque plus un monastère à présent où ces abus n’aient pris la place de la règle et où ils ne soient en vigueur avec quelques variantes, sans que personne songe à le trouver mauvais parmi ceux qui les conservent. Aussi en est-il beaucoup qui les suivent comme si ce n’étaient point des abus pour eux, et le font par conséquent sans aucune, ou du moins, sans grande faute, car le plus Il y a trois manières de les suivre. grand nombre les retient par simplicité, par charité ou par nécessité. Il est certain, en effet, que plusieurs religieux les suivent par pure simplicité, étant tout disposés à faire autrement si on le leur disait ; quelques-uns s’y prêtent pour ne point se mettre en désaccord avec ceux au milieu de qui ils vivent, préférant en cela le bien de la paix pour les autres à leur propre satisfaction ; enfin plusieurs les retiennent parce qu’ils se sentent tout à fait hors d’état de lutter contre la foule de ceux qui sont pour ces abus et les défendent hautement, comme autant d’articles de règle, et qui ne manquent point de résister de tout le poids de leur autorité, sitôt qu’on essaye, là où la raison même le conseille, de les restreindre ou de les changer.

Chapitre IX.

Saint Bernard compare la profusion qui régnait dans les repas des Clunistes avec la frugalité des anciens religieux.

Combien les visites que les moines se font aujourd’hui sont différentes de celles qu'ils se faisaient autrefois. 19. Qui aurait pu croire, dans le principe, à la naissance des Ordres monastiques, que les moines en viendraient un jour à un tel point de relâchement ? À quelle distance nous trouvons-nous aujourd’hui des moines qui vivaient du temps de saint Antoine ! Lorsqu’il leur arrivait de se rendre des visites de charité, ils étaient si avides de recevoir les uns des autres le pain de l’âme, qu’ils oubliaient le pain nécessaire à la vie du corps et passaient souvent le jour entier sans manger, uniquement occupés des choses spirituelles. C’était là de l’ordre véritable, quand on préférait la plus noble partie de l’homme à l’autre ; le comble du discernement, quand on donnait plus à la plus grande ; de la vraie charité enfin, quand on sustentait avec tant de soins les âmes pour l’amour desquelles Jésus-Christ est mort. Mais nous, pour nous servir des paroles de l’Apôtre, « lorsque nous nous réunissons, ce n’est pas pour manger la Cène du Seigneur (I Corinth., xi, 20), » car il n’y a plus personne qui demande le pain céleste ni personne qui le donne. On ne s’entretient ni des saintes Écritures, ni de ce qui regarde le salut de l’âme ; ce ne sont plus entre nous, pendant le repas, que plaisanteries, rires et paroles en l’air, que discours frivoles dont on repaît l’oreille à me-