Page:Saint-Bernard - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome 2, 1866.djvu/606

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tement ? De peur, sans doute, qu’on ne lui demandât la cause de ce divorce et qu’il ne fût obligé d’en faire connaître le motif. En effet, qu’est-ce que cet homme juste aurait pu répondre à un peuple à la tête dure, à des gens incrédules et contradicteurs ? S’il leur avait dit ce qu’il pensait, et la preuve qu’il avait de la pureté de Marie ? est-ce que les Juifs incrédules et cruels ne se seraient point moqués de lui et n’auraient point lapidé Marie ? Comment, en effet, auraient-ils cru à la Vérité muette encore dans le sein de la Vierge, eux qui ont méprisé sa voix quand elle leur parlait dans le temple ? À quels excès n’auraient-ils pas osé se porter contre celui qu’ils ne pouvaient pas voir encore, quand ils ont pu porter des mains impies sur sa personne resplendissante alors de l’éclat des miracles ? C’est donc avec raison que cet homme juste, pour ne point être dans l’alternative, ou de mentir, ou de déshonorer une innocente, prit le parti de la renvoyer en secret.

Joseph a-t-il douté de la pureté de Marie. 15. Si quelqu’un pense et soutient que Joseph eut le soupçon que tout autre homme aurait eu à sa place, mais que, comme il était juste, il ne voulut point habiter avec Marie, à cause de ses doutes mêmes, et que c’est parce qu’il était bon qu’il ne voulait point la traduire en justice, quoiqu’il la soupçonnât d’être coupable, et qu’il songeait à la renvoyer en secret ; je répondrai en deux mots qu’il faut pourtant reconnaître que les doutes de Joseph, quels qu’ils fussent, méritent d’être dissipés par un miracle d’en haut. Car il est écrit que « comme il était dans ces pensées, c’est-à-dire pendant qu’il songeait à renvoyer Marie, un ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne craignez point de retenir avec vous Marie, votre épouse, car ce qui est né en elle est l’œuvre du Saint-Esprit (Matth., i, 20). » Voilà donc pour quelles raisons Marie fut fiancée à Joseph, ou plutôt, selon les expressions de l’Évangéliste « à un homme appelé Joseph (Luc., i, 27). » Il V. aux notes. cite le nom même de cet homme, non pas parce qu’il fut son mari, mais parce qu’il était un homme de vertu, ou plutôt d’après un autre Évangéliste (Matth., i), il n’est point simplement un homme, mais il est appelé son mari ; il était juste qu’il fût désigné par le titre même qui devait nécessairement paraître lui appartenir. Ainsi il dut être appelé son mari parce qu’il fallait qu’on crût qu’il l’était effectivement. De même il mérita d’être appelé le père du Sauveur, quoiqu’il ne le fût pas effectivement, afin qu’on crût qu’il l’était, comme l’Évangéliste remarque qu’on le croyait en effet : « Quant à Jésus, dit-il, il entrait dans sa douzième année, et passait pour être le fils de Joseph (Luc., iii, 23). » Il n’était donc en réalité ni le mari de la mère, ni le père du Fils, quoique par une certaine et nécessaire disposition, comme je l’ai dit plus haut, il reçut pendant un temps les noms de père et d’époux et fut regardé comme étant l’un et l’autre en effet.

10. Mais d’après le titre de père de Dieu que Dieu même voulut bien qu’on lui donnât et qu’on crût pendant quelque temps lui appartenir, et d’après son propre nom qu’on ne peut hésiter à regarder aussi comme un honneur de plus, on peut se faire une idée de ce que fut cet homme, ce Joseph. Rappelez-vous maintenant le patriarche de ce nom qui fut vendu en Égypte ; non-seulement il portait le même nom, mais encore il eut sa chasteté, son innocence et sa grâce. En effet, le Joseph qui fut vendu par ses frères qui le haïssaient et conduit en