Page:Saint-Just - Œuvres complètes, éd. Vellay, I, 1908.djvu/294

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des bons esprits, pour se donner des chefs et pour obéir.

Tout était perdu si les lumières et l’ambition de quelques-uns n’eussent dirigé l’embrasement qui ne se pouvait plus éteindre.

Si M. d’Orléans avait eu sa faction, il se serait mis alors à sa tête, eût effrayé et ménagé la cour, comme le pratiquèrent quelques autres. Il n’en fit rien, si ce n’est comme on l’a dit, qu’il comptait sur le meurtre de la famille royale, comme il faillit à se commettre quand Paris courut à Versailles. Toutefois, pour peu qu’on juge sainement des choses, les révolutions de ce temps n’offrent partout qu’une guerre d’esclaves imprudents qui se battent avec leurs fers et marchent enivrés.

La conduite du peuple devint si fougueuse, son désintéressement si scrupuleux, sa rage si inquiète, qu’on voyait bien qu’il ne prenait conseil que de lui-même. Il ne respecta rien de superbe ; son bras sentait l’égalité qu’il ne connaissait pas. Après la Bastille vaincue, quand on enregistra les vainqueurs, la plupart n’osaient dire leur nom ; à peine furent-ils assurés, qu’ils passèrent de la frayeur à l’audace. Le peuple exerça une espèce de despotisme à son tour ; la famille du roi et l’Assemblée des États marchèrent captives à Paris, parmi la pompe la plus naïve et la plus redoutable qui fut jamais. On vit alors que le peuple n’agissait pour l’élévation de personne, mais pour l’abaissement de tous. Le peuple est un éternel enfant ; il fit avec respect obéir ses maîtres et leur obéit après avec fierté ; il fut plus soumis dans ces moments de gloire qu’il n’avait jamais été rampant autrefois. Il était avide de conseils, affamé de louanges et modeste ; la crainte lui fit oublier qu’il était libre ; on n’osait plus s’arrêter ni se parler dans les rues ; on prenait tout le monde pour des conspirateurs ; c’était la jalousie de la liberté.

Le principe était posé, rien n’arrêta ses progrès ; parce que le despotisme n’était plus, qu’il était dispersé, que ses ministres avaient pris la fuite, et que la frayeur agitait leurs conseils.