Page:Saint-Just - Œuvres complètes, éd. Vellay, I, 1908.djvu/318

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celle de France en fût exténuée, le luxe était cependant à son comble, et qu’il a fallu que la honte et l’impuissance amenassent la réforme, comme la débauche conduit à la débauche, et enfin à la mort. Les ménagements ont été délicats ; on a opéré la réforme des ordres, des administrations, au lieu de celle des particuliers.

En ôtant les pensions, les grâces, les honneurs aux grands, on satisfit le vulgaire jaloux, qui, plus vain encore qu’il n’est intéressé, ne vit point d’abord, et ensuite ne put ou n’osa se plaindre que le luxe perdu des grands avait englouti la source du sien. Il y avait plus loin de l’endroit où l’on était à celui d’où on venait qu’à celui où l’on allait ; le corps était trop lourd pour retourner sur ses pas.

Lycurgue savait bien que ses lois seraient difficiles à établir, mais que si elles prenaient une fois, leurs racines seraient profondes ; on sait tout. Il rendit le sceptre de Lacédémone au fils de son frère, et quand il se fut assuré par le respect qu’il inspira qu’on suivrait ses lois jusqu’à son retour de Delphes, il partit en exil, ne revint plus, et ordonna que ses os seraient jetés dans la mer. Lacédémone garda ses lois et fleurit longtemps.

De tout ceci on peut induire que quand un législateur s’est ployé sagement aux vices d’une nation et a ployé les vertus possibles du peuple à lui-même, il a tout fait. Lycurgue assura la chasteté en violant la pudeur, et tourna l’esprit public vers la guerre parce qu’il était féroce.

Les législateurs de France n’ont point supprimé le luxe qu’on aimait, mais les hommes magnifiques qu’on n’aimait pas ; ils n’ont point paru attaquer le mal, mais vouloir le bien.

Une grande cause de leurs progrès dans ce genre, c’est que tous les hommes se méprisaient ; le vulgaire dédaignait le vulgaire ; les grands jouaient les grands : tout le monde fut vengé.

CHAPITRE III.

DES MŒURS CIVILES

Les mœurs sont les rapports que la nature avait mis entre les hommes ; ils comprennent la piété filiale, l’amour et l’amitié.