Page:Saint-Just - Œuvres complètes, éd. Vellay, I, 1908.djvu/321

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fondée en morale, et qui était devenue un culte aveugle.

Je me suis demandé longtemps pourquoi la France n’avait pas brûlé jusqu’aux racines de ces détestables abus ; pourquoi un peuple libre payait des droits de mutation ; et pourquoi les droits utiles de la servitude étaient demeurés rachetables : je n’ai pu me persuader que nos sages législateurs aient pu se tromper là-dessus ; j’ai mieux aimé croire que les lods et ventes ont été conservés pour faciliter la vente des domaines nationaux, qui en sont exempts par leur nature ; qu’ils ont été conservés pour ne point causer de révolution dans la condition civile, car tout le monde aurait vendu et acheté ; j’aime mieux dire enfin que les droits utiles ont été rachetables, parce que le mal s’était à la longue érigé en maximes, qu’on devait limer lentement, mais qu’il eût été funeste de rompre.

La liberté coûte toujours peu, quand elle n’est payée qu’en argent. Les communes de France ont ménagé tout ce qui portait un caractère de propriété utile ; c’était l’endroit sensible des hommes d’à présent. Autrefois les nobles auraient dit : prenez tout, mais laissez-nous la bouche et l’éperon ; aujourd’hui le sang des nobles est tellement refroidi qu’ils ne regardaient plus eux-mêmes la noblesse que comme un droit de péage ; on ne parlait plus de ses aïeux qu’à table, et le peuple ne vénérait que les fiefs mouvants.

On a ôté le droit de voirie, on laisse debout les ave­nues ; on a supprimé l’honneur, la vanité dépouillée est restée nue ; mais on a respecté l’intérêt, et l’on a bien fait : la propriété rend l’homme soigneux ; elle attache les cœurs ingrats à la patrie. Les prérogatives honorifiques, quand elles n’ont plus d’attraits parmi les mœurs politiques, qui sont les rapports de la vanité, rendent les petites âmes arrogantes et mauvaises.

Le décret fameux qui a détruit le régime féodal n’ayant pas enjoint aux propriétaires de rendre leurs titres, un dénombrement, un terrier, ou le simple usage suffisent pour entretenir le cens ; on n’a voulu ni frustrer le véritable propriétaire, ni cacher l’usurpateur.