Page:Saint-Just - Œuvres complètes, éd. Vellay, I, 1908.djvu/341

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pourtant se conserver, mais elle n’en doit pas moins chercher à se rendre meilleure, puisque autrement elle ne se conserverait point, mais ne ferait que reculer le coup mortel. Aussi, quoique la France ait établi des juges et des armées, elle doit faire en sorte que le peuple soit juste et courageux. Toutes ces institutions secondes ne remplacent point la vertu originelle, mais, par les impôts rigoureux qu’elles nécessitent, elles empêchent que le peuple ne soit gâté par l’opulence, et ne se croie indépendant du contrat.

Quand Rousseau dit qu’il regarde les corvées comme moins funestes à la liberté que les taxes, il ne fait pas attention que les unes énervent l’âme et que les autres n’énervent ordinairement que les plaisirs ; l’homme libre préfère la pauvreté à l’humiliation.

CHAPITRE II.

DU PEUPLE ET DU PRINCE EN FRANCE

Si le peuple français n’est jaloux du prince, la liberté périra ; si le peuple est envieux du prince, la Constitution elle-même périra.

Montesquieu dit quelque part : “ Le peuple romain disputait au sénat toutes les branches de la puissance législative, parce qu’il était jaloux de sa liberté, et il ne lui disputait point les branches de la puissance exécutrice, parce qu’il était jaloux de sa gloire. ” M. Bossuet, évêque de Meaux, dit à peu près la même chose dans son admirable Histoire universelle ; mais cela n’est pas la vérité même.

En effet, le peuple romain, si éclairé, si habile, si prompt dans l’exécution des affaires publiques ou particulières, n’était-il donc qu’une canaille incapable d’agir pour sa gloire ; cette armée qui jura de vaincre et non de mourir, et sans citer ces exemples dont l’histoire est pleine, la sagesse qu’on lui suppose d’avoir su apprécier la prudence du sénat n’indique-t-elle point qu’il en avait et qu’il raisonnait lui-même ; pourquoi donc cet amour de la souveraineté, cette indifférence pour l’exécution ? C’est que le peuple, loin de se croire inférieur au sénat, connaissait