Page:Saint-Just - Œuvres complètes, éd. Vellay, I, 1908.djvu/346

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autant de colosses qui menacent le peuple, et qu’il a besoin d’adorer. Ce n’est plus la loi qu’on invoque, c’est le juge inévitable qui vend, si bon lui semble, ses intérêts ; aussi n’entendez-vous parler, dans la tyrannie, que de protections et de présents, qui rongent tous les principes de la liberté.

L’appel absolu aux tribunaux directs est le décès des lois, c’est la liberté des esclaves, mais ils trouvent partout les hommes à la place des lois ; la récusation, ou l’appel aux tribunaux indirects, est le déni des hommes pour chercher les lois.

Les nouveaux tribunaux de France ont brisé les plus grands ressorts de la tyrannie, en substituant aux justices irascibles des seigneurs des juridictions de paix dont le nom seul soulage l’idée des premiers : leur compétence est bornée à la nature des intérêts du pauvre, qui peut aussi les récuser dans certains cas. Un tribunal de parents nomme des tuteurs à l’innocence ; les secrets et la honte des familles s’étouffent dans leur sein, et la vertu politique de l’État est plus respectée ; au-dessus des juridictions de paix s’élèvent celles des districts, dont le pouvoir est plus étendu, mais frappé de récusions et d’appels relatifs sans nombre, qui laissent aux partis le droit de chercher la justice dans les tribunaux de plusieurs départements, et quelquefois dans tous ceux du royaume à leur choix ; c’est le committimus de la liberté.

Les récusations sont encore un remède violent contre l’injustice, et comme les meilleures lois sont encore mauvaises, là où les hommes peuvent être bons, les conciliations qu’il faut subir avant d’être admis à intenter demande sont d’excellentes institutions. Le gain des procès corrompt la vertu d’un peuple libre.

Les conciliations juridiques ont peut-être des rigueurs : le respect humain et l’ignorance, la disproportion des moyens peuvent encore séduire et tromper : vous avez la voie libre des arbitres : il ne reste plus qu’une loi, la vérité.