Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/11

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
vii
INTRODUCTION.

C’est de ce père déjà vieux et remarié en secondes noces avec une personne jeune, mais non plus de la première jeunesse, que naquit Saint-Simon en janvier 1675. On a cité comme une singularité et un prodige, dans un livre imprimé du vivant même du père[1], qu’il ait eu cet enfant à l’âge de soixante et douze ans ; il n’en avait en réalité que soixante-huit. Il lui transmit ses propres qualités très-marquées avec je ne sais quoi de fixe et d’opiniâtre : la probité, la fierté, la hauteur de cœur, et des instincts de race forte sous une brève stature. Le jeune Saint-Simon fut donc élevé auprès d’une mère, personne de mérite, et d’un père qui aimait à se souvenir du passé et à raconter mainte anecdote de la vieille Cour : de bonne heure il dut lui sembler qu’il n’y avait rien de plus beau que de se ressouvenir. Sa vocation pour l’histoire se prononça dès l’enfance, en même temps qu’il restait indifférent et froid pour les belles-lettres proprement dites. Il lisait sans doute aussi avec l’idée d’imiter les grands exemples qu’il voyait retracés, et de devenir quelque chose ; mais au fond son plus cher désir et son ambition étaient plutôt d’être de quelque chose afin de savoir le mieux qu’il pourrait les affaires de son temps et de les écrire. Cette vocation d’écrivain, qui se dégage et s’affiche pour nous si manifestement aujourd’hui, était cependant d’abord secrète et comme masquée et affublée de toutes les prétentions de l’homme de cour, du grand seigneur, du duc et pair, et des autres ambitions accessoires qui convenaient alors à un personnage de son rang.

Saint-Simon, en entrant dans le monde à l’âge de dix-neuf ans, dénote bien ses instincts et ses goûts. Dès le lendemain de la bataille de Nerwinde (juillet 1693) à laquelle il prend part comme capitaine dans le Royal-Roussillon, il en fait un bulletin détaillé pour sa mère et quelques amis. Ce récit a de la netteté, de la fermeté ; le caractère en est simple ; on y

  1. Tableau de l’amour considéré dans l’état du mariage (Amsterdam, 1687) page 134.