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CHASTETÉ DE LOUIS XIII.

prenant un air sévère : « Il est vrai, lui dit-il, que je suis amoureux d’elle, que je le sens, que je la cherche, que je parle d’elle volontiers et que j’y pense encore davantage ; il est vrai encore que tout cela se fait en moi malgré moi, parce que je suis homme, et que j’ai cette faiblesse ; mais plus ma qualité de roi me peut donner plus de facilité à me satisfaire qu’à un autre, plus je dois être en garde contre le péché et le scandale. Je pardonne pour cette fois à votre jeunesse, mais qu’il ne vous arrive jamais de me tenir un pareil discours si vous voulez que je continue à vous aimer. » Ce fut pour mon père un coup de tonnerre ; les écailles lui tombèrent des yeux ; l’idée de la timidité du roi dans son amour disparut à l’éclat d’une vertu si pure et si triomphante. C’est la même que le roi fit dame d’atours[1] de la reine, et que sous ce prétexte il fit appeler Mme d’Hautefort, qui à la fin fut la seconde femme du dernier maréchal de Schomberg, duc d’Halluyn, qui n’en eut point d’enfants. C’est depuis elle que les dames d’atours filles ont été appelées madame.

Mon père fut heureux dans plusieurs de ses différentes sortes de domestiques, qui firent des fortunes considérables. Tourville, qui étoit un de ses gentilshommes, et celui par qui, à la journée des Dupes, il envoya dire au cardinal de Richelieu de venir sur sa parole trouver le roi à Versailles le soir même, étoit un homme fort sage et de mérite. Le cardinal de Richelieu mariant sa nièce au fameux duc d’Enghien, M. le Prince lui demanda un gentilhomme de valeur et de confiance à mettre auprès de M. son fils. Il lui donna Tourville, qui y fit une fortune. Son fils, à force d’être, de

  1. La charge de dame d’atours était une des principales de la maison de la reine. D’après le Traité des Offices de Guyot, la dame d’atours devait donner les ordres pour tout ce qui concernait les vêtements et les pierreries de la reine ; elle présidait à sa toilette et dirigeait les femmes de chambre chargées de l’habiller et de la coiffer. Aux audience que donnait la reine, la dame d’atours se plaçait à sa gauche ; elle servait la reine à son petit couvert, en l’absence de la dame d’honneur.