Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/126

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
63
AU FAMEUX PAS DE SUSE.

de ces temps-là, et que mon père m’a raconté comme l’ayant vu de ses deux yeux, c’est que le duc de Savoie éperdu vint à la rencontre du roi, mit pied à terre, lui embrassa la botte et lui demanda grâce et pardon ; que le roi, sans faire aucune mine de mettre pied à terre, lui accorda en considération de son fils et plus encore de sa sœur, qu’il avoit eu l’honneur d’épouser. Ce furent les termes du roi à M. de Savoie.

On sait combien il tâcha d’en abuser aussitôt après qu’il se vit délivré de la présence d’un prince qui ne devoit un si grand succès qu’à sa ferme volonté de le remporter, à ses travaux pour y parvenir et à son épée pour en remporter tout le prix et la gloire, et combien ce duc en fut châtié par le prompt retour du roi. Mais depuis cette humiliation de Charles-Emmanuel, ce prince, si longuement et si dangereusement compté dans toute l’Europe, qui s’étoit emparé du marquisat de Saluces pendant les derniers désordres de la Ligue sous Henri III, qui avoit donné tant de peine à Henri IV régnant et affermi dans la paix, et qui n’avoit pu être forcé à rendre ce fameux vol à un roi si guerrier, Charles-Emmanuel, dis-je, depuis son humiliation, ne parut plus en public de dépit et de honte, s’enferma dans son palais, n’y vit que ses ministres, pour les ordres seulement qu’il avoit à leur donner, et son fils des moments nécessaires, aucun de ses domestiques, que les plus indispensables et pour le service personnel seulement dont il ne put se passer. Il mourut enfin de honte et de douleur le 26 juillet 1630, c’est-à-dire treize mois après. C’est ainsi que Louis XIII sut protéger le nouveau duc de Mantoue, auparavant son sujet, et l’établir et le maintenir dans les États que la nature et la loi lui donnoient, malgré la maison d’Autriche, celle de Savoie et toutes leurs armées.

Pour en revenir à Nyert, le roi à son retour continua de s’en amuser. Mon père, qui étoit l’homme du monde le mieux faisant, vit jour à sa fortune. Il demanda à M. de