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CHAVIGNY ; SES TRAHISONS.

Mortemart s’il trouveroit bon que le roi le prît à lui, et ce seigneur, qui aimoit Nyert, y consentit ; mon père ne tarda pas à le donner au roi, et, assez peu de temps [après], le fit premier valet de chambre.

Il est difficile d’avoir un peu lu des histoires et des Mémoires du règne de Louis XIII et de la minorité du roi son fils, sans y avoir vu M. de Chavigny faire d’étranges personnages auprès du roi, du cardinal de Richelieu, des deux reines, de Gaston, à qui, bien que secrétaire d’État, il ne fut donné pour chancelier, malgré ce prince, que pour être son espion domestique. Il ne se conduisit pas plus honnêtement après la mort du roi, avec les principaux personnages, avec la reine, avec le cardinal Mazarin, avec M. le Prince, père et fils, avec la Fronde, avec le parlement, et ne fut fidèle à pas un des partis qu’autant que son intérêt l’y engagea. Sa catastrophe ne le corrigea point. Ramassé par M. le Prince, il le trompa enfin, et il fut découvert au moment qu’il s’y attendoit le moins. M. le Prince, outré de la perfidie d’un homme qu’il avoit tiré d’une situation perdue, éclata et l’envoya chercher. Chavigny, averti de la colère de M. le Prince, dont il connoissoit l’impétuosité, fit le malade et s’enferma chez lui ; mais M. le Prince, outré contre lui, ne tâta point de cette nouvelle duperie, et partit de l’hôtel de Condé suivi de l’élite de cette florissante jeunesse de la cour qui s’étoit attachée à lui, et dont il étoit peu dont les pères et eux-mêmes n’eussent éprouvé ce que Chavigny savoit faire, et qui ne s’étoient pas épargnés à échauffer encore M. le Prince. Il arriva, ainsi escorté, chez Chavigny, à qui il dit ce qui l’amenoit, et qui, se voyant mis au clair, n’eut recours qu’au pardon. Mais M. le Prince, qui n’étoit pas venu chez lui pour le lui accorder, lui reprocha ses trahisons sans ménagement, et l’insulta par les termes et les injures les plus outrageants ; les menaces les plus méprisantes et les plus fâcheuses comblèrent ce torrent de colère, et Chavigny de rage et du plus violent désespoir. M. le