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RETRAITE DE MON PÈRE.

mort du cardinal de Richelieu. Dans cet éloignement, le roi lui écrivit souvent et presque toujours en un langage qu’ils s’étoient composé pour se parler devant le monde sans en être entendus, et j’en ai encore beaucoup de lettres, avec un grand regret d’en ignorer le contenu.

Le goût du roi ne put être émoussé par l’absence, et la confiance subsista telle qu’il ordonna à mon père d’aller trouver M. le Prince en Catalogne en 1639, et de lui rendre compte en leur langage de ce qui s’y passeroit. Il s’y distingua extrêmement par sa valeur, et il fut toujours considéré dans cette armée, non seulement comme l’ami particulier de M. le Prince, mais comme l’homme de confiance du roi, bien que éloigné de lui. L’année d’auparavant, il avoit commandé la cavalerie sous le même prince de Condé, au siège de Fontarabie ; avec la même confiance du roi et le même bonheur pour lui-même, en une occasion où le mauvais succès ne laissa d’honneur à partager qu’entre si peu de personnes. Mon père, toujours soutenu par ce commerce direct avec le roi, et inintelligible à tous autres, et par deux expéditions de suite, où il fut si honorablement employé, passa ainsi quatre ans à Blaye et fut rappelé par une lettre du roi qu’il lui envoya par un courrier, lors de la dernière extrémité du cardinal de Richelieu. Mon père se rendit aussitôt à la cour où il fut mieux que jamais, mais dont il ne put sentir la joie, par l’état où il trouva le roi, qui ne vécut plus que quelques mois.

On sait avec quel courage, quelle solide piété, quel mépris du monde et de toutes ses grandeurs, dont il étoit au comble, quelle présence et quelle liberté d’esprit, il étonna tout ce qui fut témoin de ses derniers jours, et avec quelle prévoyance et quelle sagesse il donna ordre à l’administration de l’état après lui, dont il fit lire toutes les dispositions devant tous les princes du sang, les grands, les officiers de la couronne et les députés du parlement, mandés exprès dans sa chambre, en présence de son conseil. Il connoissoit