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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/134

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PREMIER ÉCUYER.

Henri IV, tout au commencement de son règne, lors très-mal affermi, passoit pays à cheval avec une très-petite suite, et s’arrêta chez un gentilhomme pour faire repaître ses chevaux, manger un morceau, et gagner pays : c’étoit en Normandie et il ne le connoissoit point. Ce gentilhomme le reçut le mieux qu’il put dans la surprise, et le promena par sa maison en attendant que le dîner fût prêt. Il étoit curieux en armes et en avoit une chambre assez bien remplie. Henri IV se récria sur la propreté dont elles étoient tenues, et voulut voir celui qui en avoit le soin. Le gentilhomme lui dit que c’étoit un Hollandois qu’il avoit à son service, et lui montra le père de Beringhen. Le roi le loua tant et dit si souvent qu’il seroit bien heureux d’avoir des armes aussi propres, que quelques-uns de sa suite comprirent qu’il avoit envie du Hollandois et le dirent au gentilhomme. Celui-ci, ravi de faire sa cour au roi et plaisir à son domestique, le lui offrit, et après quelques compliments, le roi lui avoua qu’il lui faisoit plaisir. Beringhen eut le même soin des armes du roi, lui plut par là, et en eut à la fin une charge de premier valet de chambre qu’il fit passer à son fils.

Ce fils avoit perdu cette charge par sa fuite. Chamarande, père de l’officier général, en étoit pourvu ; il s’étoit si bien conduit que la reine n’eut point envie de le chasser, et Beringhen lui-même en avoit encore moins. Il avoit affaire à une femme qu’il avoit complètement servie, et pour laquelle il avoit été perdu, et au premier ministre qui ne connoissoit les états que pour en vouloir la confusion, et qui, dans la primeur de son règne, vouloit flatter celle par qui il régnoit, et s’acquérir des créatures importantes dans son plus intérieur. Beringhen en sut profiter, et de premier valet de chambre fugitif osa lever les yeux sur la charge de premier écuyer, et il l’osa avec succès. La reine en fit son affaire, et l’obtint de mon père pour quatre cent mille livres et vingt mille livres de pension du roi, dont il n’a de sa vie touché