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GRATITUDE DE MON PÈRE POUR LOUIS XIII.

quoit dans l’état-major, le roi lui envoyoit la liste des demandeurs ; quelquefois il y choisissoit, d’autres fois il demandoit un homme qui ne s’y trouvoit pas. Rien ne lui étoit refusé, jusque-là qu’il faisoit ôter ceux dont il n’étoit pas content, comme je l’ai vu d’un major, puis d’un lieutenant de roi, et mettre en la place du dernier, à la prière d’un de ses amis intimes, un officier appelé Dastor, qui avoit quitté le service depuis près de vingt ans et étoit retiré dans sa province. Mon père étoit unique dans cette autorité, et le roi disoit, qu’après les services signalés qu’il lui avoit rendus, par ce gouvernement, dans les temps les plus fâcheux, il étoit juste qu’il y disposât de tout absolument.

Jamais il ne se consola de la mort de Louis XIII, jamais il n’en parla que les larmes aux yeux, jamais il ne le nomma que le roi son maître, jamais il ne manqua d’aller à Saint-Denis à son service, tous les ans, le 14 de mai, et d’en faire faire un solennel à Blaye, lorsqu’il s’y trouvoit dans ce temps-là. C’étoit la vénération, la reconnoissance, la tendresse même qui s’exprimoit par sa bouche toutes les fois qu’il parloit de lui ; et il triomphoit quand il s’étendoit sur ses exploits personnels et sur ses vertus, et avant que de me présenter au roi il me mena un 14 de mai à Saint-Denis (je ne puis finir de parler de lui par des traits plus touchants ni plus illustres). Il étoit indigné d’être tout seul à Saint-Denis. Outre sa dignité, ses charges et ses biens qu’il devoit en entier à Louis XIII, n’ayant jamais rien eu de sa maison, c’étoit à ses bontés, à son amitié, au soin paternel de le former, à sa confiance intime et entière qu’il étoit le plus tendrement sensible, et c’est à cette privation, non au changement de fortune, qu’il ne se put jamais accoutumer.