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[1693]
BATAILLE DE NEERWINDEN.

une vigoureuse résistance de la cavalerie ennemie, la poussa jusqu’à la Gette, dans laquelle elle se précipita, et où un nombre infini fut noyé.

M. le prince de Conti, maître enfin de tout le village de Neerwinden, où il avoit reçu une contusion au côté et un coup de sabre sur la tête que le fer de son chapeau para, se mit à la tête de quelque cavalerie, la plus proche de la tête de ce village, avec laquelle il prit à revers en flanc le retranchement du front, aidé par l’infanterie qui avoit emporté enfin le village de Neerwinden, et acheva de faire prendre la fuite à ce qui étoit derrière ce long retranchement. Mais cette infanterie n’ayant pu les charger aussi vite, ni la cavalerie de notre gauche qui en étoit la plus éloignée, cette retraite des ennemis, quoique précipitée, ne laissa pas d’être belle. Un peu après quatre heures ou vers cinq heures après midi, tout fut achevé après douze heures d’action par un des plus ardents soleils de tout l’été.

J’interromprai ici pour un moment cette relation, pour dire un mot de moi-même. J’étois du troisième escadron du Royal-Roussillon, commandé par le premier capitaine du régiment, très-brave gentilhomme de Picardie, que nous aimions tous, qui s’appeloit Grandvilliers. Du Puy, autre capitaine, qui étoit à la droite de notre escadron, me pressa de prendre sa place par honneur, ce que je ne voulus pas faire. Il fut tué à une de nos cinq charges. J’avois deux gentilshommes : l’un avoit été mon gouverneur et étoit homme de mérite, l’autre écuyer de ma mère, cinq palefreniers avec des chevaux de main et un valet de chambre. Je fis trois charges sur un excellent courtaud bai brun, que je n’avois pas descendu depuis quatre heures du matin. Le sentant mollir, je me tournai pour en demander un autre. Alors je m’aperçus que ces gentilshommes n’y étoient plus. On cria à mes gens qui se trouvèrent assez près de l’escadron, et ce valet de chambre qui s’appeloit Bretonneau, que j’avois presque de mon enfance, me demanda brusquement