Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/179

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On peut juger que ces dérangements publics n’étoient pas sans d’autres domestiques qui demeuroient cachés le plus qu’il étoit possible. Mais ils devinrent si fâcheux à sa pauvre femme, bien plus vieille que lui et fort retirée, qu’elle prit le parti de quitter Paris et de s’en aller dans ses terres. Elle n’y fut pas bien longtemps, et y mourut tout à la fin d’octobre, à la fin de cette année. Ce fut le dernier coup qui acheva de faire tourner la tête à son mari : avec sa femme il perdoit toute sa subsistance ; nul bien de soi et très peu du roi. Il ne la survécut que d’un mois. Il avoit soixante-quatre ans, près de vingt ans moins qu’elle, et n’eut jamais d’enfants. On sut que les deux dernières années de sa vie il portoit des pistolets dans sa voiture et en menaçoit souvent le cocher ou le postillon, en joue, allant et venant de Versailles. Ce qui est certain c’est que, sans le baron de Beauvois qui l’assistoit de sa bourse et prenoit fort soin de lui, il se seroit souvent trouvé aux dernières extrémités, surtout depuis le départ de sa femme. Beauvois en parloit souvent au roi, et il est inconcevable qu’ayant élevé cet homme au point qu’il avoit fait et lui ayant toujours témoigné une bonté particulière, il l’ait persévéramment laissé mourir de faim et devenir fou de misère.

L’année finit par la survivance de la charge de secrétaire d’État de M. de Pontchartrain, à M. de Maurepas, son fils, qui étoit conseiller aux requêtes du palais, et n’avoit pas vingt ans, borgne de la petite vérole. Il est seul, et a perdu un aîné dont le père et la mère ne se consolent point.

À propos de cette charge, les ennemis bombardèrent Saint-Malo presque en même temps, sans presque autres dommages que toutes les vitres de la ville cassées par le bruit terrible d’une espèce de machine infernale qui s’ouvrit et sauta avant d’être à portée. M. de Chaulnes et le duc de Coislin qui étoit allé présider aux états, y étoient accourus avec force officiers de marine et beaucoup de noblesse. Le maréchal de Boufflers épousa la fille du duc de Grammont,