Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/184

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que l’aînée se marieroit, quitte à me donner le reste de ce qu’il auroit destiné d’abord, le jour que l’aînée feroit profession, et que si elle changeoit d’avis, je me contenterois d’un mariage de cadette, et serois ravi que l’aînée trouvât encore mieux que moi.

Alors, le duc levant les yeux au ciel, et presque hors de lui, me protesta qu’il n’avoit jamais été combattu de la sorte ; qu’il lui falloit ramasser toutes ses forces pour ne me la pas donner à l’instant. Il s’étendit sur mon procédé avec lui, et me conjura, que la chose réussît ou non, de le regarder désormois comme mon père, qu’il m’en serviroit en tout, et que l’obligation que j’acquérois sur lui étoit telle qu’il ne pouvoit moins m’offrir et me tenir que tout ce qui étoit en lui de services et de conseils. Il m’embrassa en effet comme son fils, et nous nous séparâmes de la sorte pour nous revoir à l’heure qu’il me diroit le lendemain au lever du roi. Il m’y dit à l’oreille, en passant, de me trouver ce même jour, à trois heures après midi, dans le cabinet de Mgr le duc de Bourgogne, qui devoit alors être au jeu de paume et son appartement désert. Mais il se trouve toujours des fâcheux. J’en trouvai deux, en chemin du rendez-vous, qui, étonnés de l’heure où ils me trouvoient dans ce chemin où ils ne me voyoient aucun but, m’importunèrent de leurs questions ; je m’en débarrassai comme je pus, et j’arrivai enfin au cabinet du jeune prince, où je trouvai son gouverneur qui avoit mis un valet de chambre de confiance à la porte pour n’y laisser entrer que moi. Nous nous assîmes vis-à-vis l’un de l’autre, la table d’étude entre nous deux. Là, j’eus la réponse la plus tendre, mais négative, fondée sur la vocation de sa fille, sur son peu de bien pour l’égaler à la troisième, si, le mariage fait, elle se ravisoit ; sur ce qu’il n’étoit point payé de ses états, et sur le désagrément que ce lui seroit d’être le premier des ministres qui n’eût pas le présent que le roi avoit toujours fait lors du mariage de leurs filles, et que l’état présent des affaires l’empêchoit