Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/185

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d’espérer. Tout ce qui se peut de douleur, de regret, d’estime, de préférence, de tendre, me fut dit ; je répondis de même, et nous nous séparâmes, en nous embrassant, sans pouvoir plus nous parler. Nous étions convenus d’un secret entier qui nous faisoit cacher nos conversations et les dépayser, de sorte que, ce jour-là, j’avois conté à M. de Beauvilliers, avant d’entrer en matière, les deux rencontres que j’avois faites ; et sur ce qu’il me recommanda de plus en plus le secret, je donnai le change à Louville de ce second entretien, quoiqu’il sût le premier, et qu’il fût un des deux hommes que j’avois rencontrés.

Le lendemain matin, au lever du roi, M. de Beauvilliers me dit à l’oreille qu’il avoit fait réflexion que Louville étoit homme très-sûr et notre ami intime à tous deux, et que, si je voulois lui confier notre secret, il nous deviendroit un canal très-commode et très-caché. Cette proposition me rendit la joie par l’espérance, après avoir compté tout rompu. Je vis Louville dans la journée ; je l’instruisis bien, et le priai de n’oublier rien pour servir utilement la passion que j’avois de ce mariage.

Il me procura une entrevue pour le lendemain dans ce petit salon du bout de la galerie qui touche à l’appartement de la reine et où personne ne passoit, parce que cet appartement étoit fermé depuis la mort de Mme la Dauphine. J’y trouvai M. de Beauvilliers à qui je dis, d’un air allumé de crainte et d’espérance, que la conversation de la veille m’avoit tellement affligé, que je l’avois abrégée dans le besoin que je me sentois d’aller passer les premiers élans de ma douleur dans la solitude, et il étoit vrai ; mais que, puisqu’il me permettoit de traiter encore cette matière, je n’y voyois que deux principales difficultés, le bien et la vocation ; que pour le bien, je lui demandois en grâce de prendre cet état du mien que je lui apportois encore, et de régler dessus tout ce qu’il voudroit. À l’égard du couvent, je me mis à lui faire une peinture vive de ce que l’on ne prend que trop souvent