Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/208

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comme avocat général, on le vit devenir le sien, et travailler à ses factums. Il fouilla les bibliothèques, rassembla les matériaux, présida tout ce qui se fit, écrivit pour M. de Luxembourg, à visage découvert, et rien ne s’y fit que par lui. Le célèbre Racine, si connu par ses pièces de théâtre, et par la commission où il étoit employé lors pour écrire l’histoire du roi, prêta sa belle plume pour polir les factums de M. de Luxembourg, et en réparer la sécheresse de la matière par un style agréable et orné, pour les faire lire avec plaisir et avec partialité aux femmes et aux courtisans. Il avoit été attaché à M. de Seignelay, étoit ami intime de Cavoye, et tous deux l’avoient été de M. de Luxembourg, et Cavoye l’étoit encore. En un mot, les dames, les jeunes gens, tout le bel air de la cour et de la ville étoit pour lui, et personne parmi nous à pouvoir contre-balancer ce grand air du monde, ni même y faire aucun partage. Que si on ajoute le soin de longue main pris, de captiver les principaux du parlement, et toute la grand-chambre par parents, amis, maîtresses, confesseurs, valets, promesses, services, il se trouvera qu’avec un premier président tel que Harlay à la tête de ce parti, nous avions affaire à incomparablement plus forts que nous. Un inconvénient encore, qui n’étoit pas médiocre, fut la lutte d’une communauté de gens en même intérêt contre un seul qui conduisoit le sien avec indépendance et qui n’avoit besoin d’aucun concert. Le nôtre subsista pourtant fort au-dessus de ce qui se pouvoit attendre d’une si grande diversité d’esprits et d’humeurs, dans une parité de dignité et d’intérêt. M. de Bouillon, avec la chimère de l’ancien rang d’ancienneté d’Albret et de Château-Thierry, imita le duc de Chevreuse, et dès le premier commencement de l’affaire. Mais celui-ci se contenta de n’y prendre aucune part. Telle étoit notre situation, lorsque M. de Luxembourg l’entama. Le premier pas fut de faire donner des conclusions au