Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/222

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aucun de nous dans celles qu’il fit au public. Les lettres d’État furent cassées au premier conseil des dépêches, comme nous nous y étions bien attendus ; mais, comme cesmessieurs me l’avoient promis, elles ne le furent qu’à l’égard de cette seule affaire. M. de Luxembourg en triompha, et compta qu’avec ce vernis de plus, son procès alloit finir tout court à son avantage. Il employa tout le lendemain de ce succès à le remettre sur le bureau au même point d’où il avoit été suspendu ; il remua tous ses amis et vit tous ses juges. En effet, aussi bien secondé qu’il l’étoit parmi eux, on fut en état de le juger le lendemain, lorsque, rentrant chez lui bien tard et bien las de tant de courses, il y trouva ,la signification de M. de Richelieu entre les mains de son suisse, que son intendant à peine osa lui dire avoir aussi été faite à son procureur.

Ce coup porté, les opposants m’envoyèrent mon congé à Longnes où mon exil n’avoit duré que six jours. Je trouvai tout en feu : M. de Luxembourg avoit perdu toute mesure, et les ducs qu’il attaquoit n’en gardoient plus avec lui. La cour et la ville se partialisèrent, et d’amis en amis personne ne demeura neutre ni prenant médiocrement parti. J’eus à essuyer force questions sur mes lettres d’État. J’avois pour moi raison, justice, nécessité et un parti ferme et bien organisé, et des ducs mieux avec le roi que n’y étoit M. de Luxembourg. J’avois de plus eu soin de mettre pour moi les procédés. Je les répandis, et comme je sus que M. de Luxembourg et les siens s’étoient licenciés sur moi comme sur la partie la plus foible, et de qui le coup qui les déconcertoit étoit parti, je ne me contraignis avec aucun d’eux.

Cavoye tout en arrivant me dit qu’il avoit montré mon billet à M. de Luxembourg, qu’il vouloit bien pardonner à ma jeunesse une chicane inouïe entre des gens comme nous, et qui en effet étoit un procédé fort étrange. Une réponse si fière à mes honnêtetés si attentives me piqua. Je répondis à Cavoye que je m’étonnois fort d’une réponse si peu méritée,