Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/251

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MM. de Beuvron et de Montignon, chevaliers de l’ordre et lieutenants généraux de la province, firent difficulté de lui écrire monseigneur ; ils reçurent ordre du roi de le faire, et il fallut obéir. Monseigneur fut, après ces destinations, déclaré commander les armées en Flandre et tous les princes avec lui.

Le régiment que j’avois acheté se trouvoit en quartier dans la généralité de Paris, par conséquent destiné pour la Flandre, où je n’avois pas envie d’aller après tout ce qui s’étoit passé avec M. de Luxembourg. Par le conseil de M. de Beauvilliers, j’écrivis au roi mes raisons fort abrégées, et lui présentai ma lettre comme il entroit de son lever dans son cabinet le matin qu’il s’en alloit à Chantilly et à Compiègne faire des revues, et revenir incontinent après. Je le suivis à la messe, et de là à son carrosse pour partir. Il mit le pied dans la portière, puis le retira, et se tournant à moi : « Monsieur, me dit-il, j’ai lu votre lettre, je m’en souviendrai. » En effet, j’appris peu de temps après qu’on m’avoit changé avec le régiment du chevalier de Sully qui étoit à Toul, et qui alloit en Flandre en ma place, et moi en Allemagne en la sienne. J’eus d’autant plus de joie d’échapper ainsi à M. de Luxembourg, et par une attention particulière du roi, pleine de bonté, que je sus que M. de Luxembourg en eut un dépit véritable.

Il y avoit quelques années que Monseigneur avoit été fort amoureux d’une fille du duc de La Force, que, dans la dispersion de sa famille pour la religion, on avoit mise fille d’honneur de Mme la Dauphine pour la première fille de duc qui eût jamais pris ces sortes de places, et le roi en avoit chargé la duchesse d’Arpajon, dame d’honneur, qui la logea et nourrit dans son appartement de Versailles lorsque la chambre des filles fut cassée. On l’avoit depuis mariée au fils du comte de Roure avec la survivance de sa charge de lieutenant général de Languedoc, et quelque argent que le roi donna pour s’en défaire honorablement,