Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/262

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brigadiers ou mestres de camp, et me fit force excuses. Il revint encore chez moi deux jours après ; je le fus voir ensuite, puis lui donnai à dîner avec d’autres, comme j’avois toujours du monde à manger, généraux, mestres de camp et autres officiers. C’étoit un brave homme, épais, mais bon homme et galant homme, et qui savoit fort bien mener une troupe de cavalerie.

Après un si long séjour dans un camp abondant, il fallut aller ailleurs ; le maréchal de Lorges voulut laisser un gros corps d’infanterie en Alsace pour empêcher les ennemis d’y entrer par un pont de bateaux diligemment jeté, quand il s’en seroit éloigné pour ses subsistances, et ne se rendit point aux représentations de La Grange, intendant de l’armée, qui l’étoit aussi d’Alsace.

Celui-ci en écrivit à la cour, manda que, si cette infanterie demeuroit en Alsace, elle mettroit la province hors d’état de payer cent mille écus prêts à toucher, que c’étoient des inquiétudes et des précautions inutiles, et qu’il répondoit sur sa tête que les ennemis ne passeroient pas le Rhin, et n’étoient pas même en état d’y songer. Barbezieux, qui avec tous ses grands airs sentoit plus l’intendant que le général d’armée, et plus enclin aussi à croire l’un que l’autre, mit le roi de son côté, tellement que le maréchal reçut un ordre positif tel que La Grange l’avoit proposé. À cela le maréchal de Lorges ne put qu’obéir ; et, ne trouvant plus de subsistances plus proches que les bords de la Nave, il se mit, avec la première ligne, tout contre Creutznach, et envoya Tallard avec la seconde au delà de cette petite rivière, guéable partout, dans le Hondsrück où nous eûmes des fourrages et des vivres en abondance.

À peine la goûtions-nous, que Tallard reçut ordre de partir aussitôt avec toutes ses troupes pour aller rejoindre le maréchal de Lorges ; c’est que le prince Louis de Bade avoit calculé sur notre éloignement qu’il auroit le loisir de faire une rafle en Alsace avant que nous pussions être rejoints,