Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/273

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l’esprit de Monseigneur et de le gouverner, pour disposer de l’État quand il en seroit devenu le maître.

Dans cet esprit ils avisèrent Clermont de s’attacher à la Choin, d’en devenir l’amant, et de paroître vouloir l’épouser. Ils lui confièrent ce qu’ils avoient découvert de Monseigneur à son égard, et que ce chemin étoit sûrement pour lui celui de la fortune. Clermont, qui n’avoit rien, les crut bien aisément : il fit son personnage, et ne trouva point la Choin cruelle ; l’amour qu’il feignoit, mais qu’il lui avoit donné, y mit la confiance ; elle ne se cacha plus à lui de celle de Monseigneur, ni bientôt Monseigneur ne lui fit plus mystère de son amitié pour la Choin ; et bientôt après la princesse de Conti fut leur dupe. Là-dessus on partit pour l’armée, où Clermont eut toutes les distinctions que M. de Luxembourg lui put donner.

Le roi, inquiet de ce qu’il entrevoyoit de cabale auprès de son fils, les laissa tous partir, et n’oublia pas d’user du secret de la poste ; les courriers lui en déroboient souvent le fruit, mais à la fin l’indiscrétion de ne pas tout réserver aux courriers trahit l’intrigue. Le roi eut de leurs lettres ; il y vit le dessein de Clermont et de la Choin de s’épouser, leur amour, leur projet de gouverner Monseigneur et présentement et après lui ; combien M. de Luxembourg étoit l’âme de toute cette affaire, et les merveilles pour soi qu’il s’en proposoit.

L’excès du mépris de la Choin et de Clermont pour la princesse de Conti, de qui Clermont lui sacrifia les lettres que le roi eut pour ce même paquet intercepté à la poste, après beaucoup d’autres dont il faisoit rendre les lettres après en avoir pris les extraits, et avec ce paquet une lettre de Clermont accompagnant le service, où la princesse de Conti étoit traitée sans ménagement, où Monseigneur n’étoit marqué que sous le nom de leur gros ami, et où tout le cœur sembloit se répandre. Alors le roi crut en avoir assez, et une après-dînée de mauvais temps qu’il ne sortit point, il manda à la princesse de Conti de lui venir