Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/289

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la paix dont il auroit toute la gloire. Il pressa donc le roi de donner ses ordres à temps pour le mettre en état d’entreprendre ce siège avec sûreté, et M. de Barbezieux qu’il mettoit au désespoir n’osoit manquer â ce qui lui étoit prescrit, et qui étoit éclairé par le double intérêt de M. de Noailles de ne manquer de rien à temps, et de ne le pas ménager s’il n’avoit toutes choses à point.

Une flotte de cinquante-deux vaisseaux partit le 3 octobre de Toulon, chargée de cinq mille deux cents hommes de troupes prises en Provence de celles de M. de Vendôme ; et rien ne manquoit plus que de mettre la main à l’œuvre, lorsque M. de Noailles voulut rendre au roi un compte particulier de tout et recevoir directement ses ordres, et le tout à l’insu de M. de Barbezieux. Pour une commission si importante pour lui, il choisit Genlis qui, étant sans bien et sans fortune, s’étoit donné à lui, et qu’il ne faut pas confondre avec le vieux Genlis dont j’ai parlé plus haut et à qui il ne cédoit point. Ce Genlis gagna l’amitié de M. de Noailles jusqu’à faire la jalousie de toute sa petite armée. M. de Noailles lui procura un régiment et le poussa fort brusquement à la brigade, puis à être fait maréchal de camp. Il avoit de l’esprit et du manège, et n’avoit d’autre connoissance ni d’autre protection que celle dont il avoit tout reçu. M. de Noailles crut donc ne pouvoir mieux faire que de le charger d’une simple lettre de créance pour le roi, et de le lui annoncer comme une lettre vivante qui répondroit à tout sur-le-champ, et qui sans l’importuner d’une longue dépêche lui en diroit plus en une demi-heure qu’il ne pourroit lui en écrire en plusieurs jours. Les paroles volent, l’écriture demeure ; un courrier peut être volé, peut tomber malade et envoyer ses dépêches ; cet expédient obvioit à tous ces inconvénients et laissoit M. de Barbezieux dans l’ignorance et dans l’angoisse de tout ce qui se passeroit ainsi par Genlis.

Barbezieux qui avoit d’autant plus d’espions, et de meilleurs en Catalogne, que c’étoit pour lui l’endroit le plus