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INTRODUCTION.

passer à ce tiers état qui est tout, et qui, le jour venu, dans la plénitude de son installation, sera même le Prince.

La mort subite du duc de Bourgogne vint porter le plus rude coup à Saint-Simon et briser la perspective la plus flatteuse qu’un homme de sa nature et de sa trempe pût envisager, moins encore d’être au pouvoir par lui-même que de voir se réaliser ses idées et ses vues, cette chimère du bien public qu’il confondait avec ses propres satisfactions d’orgueil. Le duc de Bourgogne mort à trente ans, Saint-Simon, qui n’en avait que trente-sept, restait fort considérable et fort compté par sa liaison intime et noblement professée en toute circonstance avec le duc d’Orléans, que toutes les calomnies et les cabales ne pouvaient empêcher de devenir, après la mort de Louis XIV et de ses héritiers en âge de régner, le personnage principal du royaume.

Les plans que Saint-Simon développa au duc d’Orléans pour une réforme du gouvernement ne furent qu’en partie suivis. L’idée des Conseils à substituer aux secrétaires d’État pour l’administration des affaires, était de lui ; mais elle ne fut pas exécutée et appliquée comme il l’entendait. Une des mesures qu’il proposait avec le plus de confiance, eût été de convoquer les États généraux au début de la Régence ; il y voyait un instrument commode duquel on pouvait se servir pour obtenir bien des réformes, et sur qui on en rejetterait la responsabilité par manière d’excuse. Il y avait à profiter, selon lui, de l’erreur populaire qui attribuait à ce corps un grand pouvoir, et on pouvait favoriser cette erreur innocente sans en redouter les suites. Ici Saint-Simon se trompait peut-être de date comme en d’autres cas, et il ne se rendait pas bien compte de l’effet et de la fermentation qu’eussent produits des États généraux en 1716 ; la machine dont il voulait qu’on jouât pouvait devenir dangereuse à manier. On va vite en France, et, à défaut de l’abbé Siéyes pour théoricien, on avait déjà l’abbé de Saint-Pierre qui aurait trouvé des traducteurs plus éloquents que lui pour