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MON AMITIÉ

ni aucun de ceux qui ont rang de prince étranger ne se trouvoient jamais à l’adoration de la croix ni à la cène, à cause de la dispute de préséance avec les ducs, qui étoient aussi exclus de la cène, mais non de l’adoration de la croix. L’un et l’autre avoient été rendus à MM. de Vendôme, depuis la préséance au parlement sur tous les pairs ; ils s’y trouvèrent donc cette année, et le duc d’Elbœuf aussi, qui comme duc et pair y pouvoit être. Comme le grand prieur en revenoit, le roi ne vit personne qui y allât. Il attendit un moment, puis, se tournant, il vit le duc de Beauvilliers, et lui dit : « Allez donc, monsieur. — Sire, répondit le duc, voilà M. le duc d’Elbœuf qui est mon ancien. » Et aussitôt M. d’Elbœuf, comme revenant d’une profonde rêverie, se mit en mouvement et y alla. Le grand écuyer et le chevalier de Lorraine lui en dirent fortement leur avis ; il leur donna pour excuse qu’il n’y avoit pas pensé, mais le roi lui en sut très-bon gré.

Tout cet hiver ma mère n’étoit occupée qu’à me trouver une bon mariage, bien fâchée de ne l’avoir pu dès le précédent. J’étois fils unique et j’avois une dignité et des établissements qui faisoient aussi qu’on pensoit fort à moi. Il fut question de Mlle d’Armagnac et de Mlle de La Trémoille, mais fort en l’air, et de plusieurs autres. La duchesse de Bracciano vivoit depuis longtemps à Paris, loin de son mari et de Rome. Elle logeoit tout auprès de nous ; elle étoit amie de ma mère qu’elle voyoit souvent. Son esprit, ses grâces, ses manières m’avoient enchanté : elle me recevoit avec bonté, et je ne bougeois de chez elle. Elle avoit auprès d’elle Mlle de Cosnac sa parente, et Mlle de Royan, fille de sa sœur, et de la maison de La Trémoille comme elle, toutes deux héritières et sans père ni mère. Mme de Bracciano mouroit d’envie de me donner Mlle de Royan. Elle me parloit souvent d’établissements, elle en parloit aussi à ma mère pour voir si on ne lui jetteroit point quelque propos qu’elle pût ramasser : c’eût été un noble et riche mariage, mais j’étois