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INTRODUCTION.

lard et de grand seigneur devenu campagnard, et pour se mettre plus à l’aise, il posait sa perruque sur un fauteuil, et sa tête fumait. — On se figure bien en effet cette tête à vue d’œil fumante, que tant de passions échauffaient.

Les Mémoires imprimés du marquis d’Argenson contiennent (page 178) un jugement défavorable sur Saint-Simon. Ce jugement a été arrangé et modifié à plaisir, comme tout le style en général dans ces éditions de d’Argenson. Je veux donner ici le vrai texte du passage tel qu’il se lit dans le manuscrit. Si injurieux qu’en soient les termes pour Saint-Simon, ce n’est pas tant à lui que ce jugement fera tort qu’à celui qui s’y est abandonné ; et d’ailleurs on peut, jusqu’à un certain point, en contrôler l’exactitude, et cela en vaut la peine avant que quelqu’un s’en empare, ce qui aurait lieu au premier jour ; on ne manquerait pas de crier à la découverte et de s’en faire une arme contre Saint-Simon :

« Le duc de Saint-Simon, écrivait d’Argenson à la date de 1722, est de nos ennemis, parce qu’il a voulu grand mal à mon père, le taxant d’ingratitude, et voici quel en a été le lieu. Il prétend qu’il a plus contribué que personne à mettre mon père en place de ministre, et que mon père ne lui a pas tenu les choses qu’il lui avoit promises comme pot-de-vin du marché ; or quelles étoient ces choses ? Ce petit broudillon vouloit qu’on fît le procès à M. le duc du Maine, qu’on lui fît couper la tête, et le duc de Saint-Simon devoit avoir la grande maîtrise de l’artillerie. — Voyez un peu quel caractère odieux, injuste et anthropophage de ce petit dévot sans génie, plein d’amour-propre, et ne servant d’ailleurs aucunement à la guerre !

« Mon père voyant les choses pacifiées, les bâtards réduits, punis, envoyés en prison ou exil, et tout leur parti débellé, ce qui fut une des grandes opérations de son ministère, il ne voulut pas aller plus loin, ni mêler des intérêts particuliers aux motifs des grands coups qu’il frappa.

« De là le petit duc et sa séquelle en ont voulu mal de mort à mon père et l’ont traité d’ingrat, comme si la reconnoissance, qui est une vertu, devoit se prouver par des crimes ; et cette haine d’une telle légitime rejaillit sur les pauvres enfants qui s’en… »[1]

  1. Manuscrits de la Bibliothèque du Louvre, dans le volume de d’Argenson qui est consacré à ses Mémoires personnels, au paragraphe 19.