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INTRODUCTION.

Si la haine ou l’humeur éclate quelque part, c’est assurément dans cette injurieuse boutade bien plus que dans tout ce que Saint-Simon a écrit sur les d’Argenson. À l’égard du duc du Maine, Saint-Simon en effet a eu le tort de le trop craindre, même après qu’il était déraciné et abattu ; mais quant à juger avec haine le garde des sceaux et ancien lieutenant de police d’Argenson, c’est ce qu’il n’a pas fait. Les différents endroits où il parle de lui sont d’admirables pages d’histoire ; le marquis n’a pas parlé de son père en des termes plus expressifs et mieux caractérisés que ne le fait Saint-Simon, qui n’y a pas mis d’ailleurs les ombres trop fortes : tant il est vrai que le talent de celui-ci le porte, nonobstant l’affection, à la vérité et à une sorte de justice quand il est en face d’un mérite réel et sévère, digne des pinceaux de l’histoire.

Je ne relèverai pas les autres injures de ce passage tout brutal : Saint-Simon y est appelé un dévot sans génie. Saint-Simon n’avait pas, il est vrai, le génie politique ; bien peu l’ont, et le marquis d’Argenson, avec tout son mérite comme philosophe et comme administrateur secondaire, n’en était lui-même nullement doué. Pour être un politique, indépendamment des vues et des idées justes qui sont nécessaires, mais qu’il ne faut avoir encore qu’à propos et modérément, sans une fertilité trop confuse, il ne convient pas de porter avec soi de ces humeurs brusques qui gâtent tout, et de ces antipathies des hommes qui créent à chaque pas des incompatibilités. Le génie de Saint-Simon, qui devait éclater après lui, rentrait tout entier dans la sphère des Lettres : en somme, ce qu’il a dû être, il l’a été.

Il y a à dire à sa dévotion. Elle était sincère et dès lors respectable ; mais elle ne semble pas avoir été aussi éclairée qu’elle aurait pu l’être. Après chaque mécompte ou chagrin, Saint-Simon s’en allait droit à la Trappe chercher une consolation, comme on va, dans une blessure, au chirurgien ; mais il en revenait sans avoir modifié son fond et sans