Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/369

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C’étoit aussi un très-bon homme et fort homme d’honneur. Il eut les bâtiments à la mort de Louvois, et fut aussi un temps premier maître d’hôtel de la reine. Son fils aîné avoit été tué à la tête d’un régiment qu’on avoit fait royal pour lui ; celui-ci avoit servi à la mer quelque temps.

Lassay épousa à l’hôtel de Condé la bâtarde de M. le Prince et de Mlle de Montalois qu’il avoit fait légitimer[1]. Elle étoit fort jolie et avoit beaucoup d’esprit. Il en eut du bien et la lieutenance générale de Bresse. Il étoit fils de Montalaire, grand menteur de son métier, et d’une Vipart, très-petite demoiselle de Normandie. Ce nom de Madaillan est étrangement connu par la vie de M. d’Épernon, et n’a pas brillé depuis. Lassay avoit déjà été marié deux fois. D’une Sibour, qu’il perdit tout au commencement de 1675, il eut une fille unique qui n’eut point d’enfants du marquis de Coligny, dernier de cette grande et illustre maison. Il devint après amoureux de la fille d’un apothicaire qui s’appeloit Pajot, si belle, si modeste, si sage, si spirituelle, que Charles IV, duc de Lorraine, éperdu d’elle, la voulut épouser malgré elle, et n’en fut empêché que parce que le roi la fit enlever. Lassay, qui n’étoit pas de si bonne maison, l’épousa, et en eut un fils unique ; puis la perdit, et en pensa perdre l’esprit. Il se crut dévot, se fit une retraite charmante joignant les Incurables, et y mena quelques années une vie fort édifiante. À la fin il s’en ennuya ; il s’aperçut qu’il n’étoit qu’affligé, et que la dévotion passoit avec la douleur. Il avoit beaucoup d’esprit, mais c’étoit tout. Il chercha à rentrer dans le monde, et bientôt il se trouva tout au milieu. Il s’attacha à M. le Duc et à MM. les princes de Conti, avec qui il fit le voyage de Hongrie. Il n’avoit

  1. Julie de Bourbon, fille naturelle d’Henri-Jules de Bourbon, prince de Condé et de Françoise de Montalais, épousa, le 5 mars 1696, François de Lesparre de Madaillan, marquis de Lassay. Saint-Simon appelle d’abord le père de Lassay Montalaire, et à la ligne suivante Madaillan. Nous avons reproduit exactement le manuscrit ; mais le nom de Madaillan est le seul exact.