Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/374

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rendoient un compte exact de tout ce qu’elles apprenoient en dogmes et en pratique. Il se mit bien au fait de tout, il l’examina avec exactitude, et quand il crut qu’il étoit temps, il éclata.

Mme de Maintenon fut étrangement surprise de tout ce qu’il lui apprit de sa nouvelle école, et plus encore de ce qu’il lui en prouva par la bouche de ses deux affidées, et par ce qu’elles en avoient mis par écrit. Mme de Maintenon interrogea d’autres écolières ; elle vit par leurs réponses que, plus ou moins instruites et plus ou moins admises dans la confiance de leur nouvelle maîtresse, tout alloit au même but, et que ce but et le chemin étoient fort extraordinaires. La voilà bien en peine, puis en grand scrupule ; elle se résolut à parler à M. de Cambrai ; celui-ci, qui ne soupçonnoit pas qu’elle fût si instruite, s’embarrassa et augmenta les soupçons. Tout à coup Mme Guyon fut chassée de Saint-Cyr, et on ne s’y appliqua plus qu’à effacer jusqu’aux moindres traces de ce qu’elle y avoit enseigné. On y eut beaucoup de peine ; elle en avoit charmé plusieurs qui s’étoient véritablement attachées à elle et à sa doctrine, et M. de Chartres en profita pour faire sentir tout le danger de ce poison et pour rendre M. de Cambrai fort suspect. Un tel revers et si peu attendu l’étourdit, mais il ne l’abattit pas. Il paya d’esprit, d’autorités mystiques, de fermeté sur ses étriers. Ses amis principaux le soutinrent.

M. de Chartres, content de s’être solidement raffermi dans l’esprit et la confiance de Mme de Maintenon, ne voulut pas pousser si fort de suite un homme si soutenu ; mais sa pénitente, piquée d’avoir été conduite sur le bord du précipice, se refroidit de plus en plus pour M. de Cambrai, et s’irrita de plus en plus contre Mme Guyon. On sut qu’elle continuoit à voir sourdement du monde à Paris ; on le lui défendit sous de si grandes peines qu’elle se cacha davantage, mais sans pouvoir se passer de dogmatiser bien en cachette, ni son petit troupeau de se rassembler par parties autour