Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/393

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nement en repos sur ce qu’il en pensoit ; que M. de Luxembourg ne lui avoit point parlé, qu’il verroit ce qu’il lui diroit, mais qu’il ne nous disoit rien sur notre réponse, sinon qu’il vouloit n’en rien savoir qu’après qu’elle seroit faite. Nous portâmes donc chacun la nôtre chez M. de La Rochefoucauld, où je crus voir des pensionnaires qui ont composé pour les places. Il s’en fit une assez mauvaise compilation. M. de Chaulnes se chargea d’aller travailler avec Chardon pour la réplique, et de lui porter notre réponse ; il l’affaiblit encore, et elle ne valut pas la peine d’être prononcée, au moins c’est ce qu’il me parut quand Chardon la débita.

Tout fini de part et d’autre, ce fut à d’Aguesseau à parler : il s’en acquitta avec une si exacte fidélité à mettre dans le plus grand jour jusqu’aux moindres raisons alléguées de part et d’autre, et tant de justesse à les balancer toutes, et à laisser une incertitude entière sur son avis, que le barreau et les parties mêmes auroient donné les mains à en passer par son avis. Il se reposa le lendemain ; et le vendredi, 13 avril, il reparut pour achever. Il tint encore l’auditoire assez longtemps en suspens, puis commença à se montrer ; ce fut avec une érudition, une force, une précision et une éloquence incomparables, et conclut entièrement pour nous. Il se déroba aussitôt aux acclamations publiques, et nous fûmes priés de sortir pour laisser opiner les juges avec liberté. C’est ce qu’ils appellent délibérer sur le registre. Tout le monde sortit donc en même temps, et ils demeurèrent seuls dans la grand’chambre. Mme de La Trémoille, qui étoit dans une lanterne haute, nous vint trouver. Le délibéré ne fut pas long, mais notre impatience nous fit entrer dans le parquet des huissiers, d’où, un moment après, nous vîmes sortir de la grand’chambre qui étoit fermée, et où il ne devoit y avoir que les juges, Poupart, secrétaire du premier président. Bientôt après on nous fit entrer pour entendre la prononciation de l’arrêt qui donna gain de cause à M. de Luxembourg sur l’érection