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D’O ET MADAME D’O.

Mlle de Guilleragues et lui plut, et tant fut procédé, que sans biens de part ni d’autre, la mère consentit à leur mariage. Les vaisseaux relâchèrent quelques jours sur les bords de l’Asie Mineure, vers les ruines de Troie. Le lieu étoit trop romanesque pour y résister ; ils mirent pied à terre et s’épousèrent. Arrivés avec les vaisseaux en Provence, Mme de Guilleragues amena sa fille et son gendre à Paris et à Versailles et les présenta à Mme de Maintenon. Ses aventures lui donnèrent compassion des leurs.

Villers se prétendit bientôt de la maison d’O et en prit le nom et les armes. Rien n’étoit si intrigant que le mari et la femme, ni rien aussi de plus gueux. Ils firent si bien auprès de Mme de Maintenon, que M. d’O fut mis auprès de M. le comte de Toulouse avec le titre de gouverneur et d’administrateur de sa maison. Cela lui donna un être, une grosse subsistance, un rapport continuel avec le roi, et des privances et des entrées à toutes heures, qui n’avoient aucun usage par devant, c’est-à-dire comme celles des premiers gentilshommes de la chambre, mais qui étoient bien plus grandes et plus libres, pouvant entrer par les derrières dans les cabinets du roi presqu’à toutes heures, ce que n’avoient pas les premiers gentilshommes de la chambre, ni pas une autre sorte d’entrée, outre qu’il suivoit son pupille chez le roi et y demeuroit avec lui à toutes sortes d’heures et de temps, tant qu’il y étoit. Sa femme fut logée avec lui dans l’appartement de M. le comte de Toulouse, qui lui entretint soir et matin une table fort considérable. Ils n’avoient pas négligé Mme de Montespan, et l’eurent favorable pour cette place et tant qu’elle demeura à la cour. Ils la cultivèrent toujours depuis, parce que M. le comte de Toulouse l’aimoit fort.

D’O peu à peu avoit changé de forme, et lui et sa femme tendoient à leur fortune par des voies entièrement opposées, mais entre eux parfaitement de concert. Le mari étoit un grand homme, froid, sans autre esprit que du manége,