Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/435

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d’avis, et auroit voulu que le maréchal de Choiseul eût combattu le prince Louis aux plaines d’Alney. Il étoit plus fort que nous du double ; et s’il avoit battu notre armée, il eût aisément pris Landau, fort méchante place alors, et eût été le maître d’emporter le fort qui couvroit le bout d’en deçà du pont de Philippsbourg, de brûler ce pont, de ravager l’Alsace, de s’établir pour l’hiver à Spire, d’empêcher M. d’Harcourt de déboucher les montagnes, puis de faire tout à son aise le siège de Philippsbourg.

Ces mêmes raisons détournèrent le maréchal de croire ceux qui lui proposoient de se mettre à Durckheim : cette petite ville ruinée et non tenable étoit bien au pied des montagnes, mais entre elles et l’endroit où les montagnes s’escarpent et se couvrent, il y avoit un grand espace de terrain à passer plusieurs colonnes de front ; d’ailleurs, le marais qui auroit couvert l’armée étoit en figure de T dont la queue la séparoit. Il auroit donc fallu force ponts de communication sur cette queue, et on laisse à penser de quelles ressources sont de telles communications à une armée attaquée par le double d’elle. Le marquis d’Huxelles proposa de se mettre le cul au Rhin et le nez à la montagne. Ce parti conservoit Spire et nous en appuyoit, mais il abandonnoit Neustadt, le livroit au prince Louis pour un entrepôt très commode pour ses vivres, et un passage assuré derrière Landau pour passer en Alsace et la ruiner, sans crainte que nous osassions nous déplacer ; il nous ôtait en même temps en fort peu de jours toute subsistance, parce que nous ne pouvions tirer de fourrages que de l’Alsace, et bientôt les vivres, que Thungen ne nous auroit pas même laissé descendre aisément par le Rhin. D’autres proposèrent la position contraire, le cul à Landau et la tête au Rhin. Celui-là tenoit Landau et Neustadt, mais il laissoit tout le chemin de l’Alsace libre aux ennemis, l’important poste de Spire, d’où, une fois établis, ils pouvoient brûler le pont de Philippsbourg, s’en épargner la circonvallation de ce côté-ci, et