Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/442

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ennemis avoient retiré leurs postes le long du ruisseau et des inondations qui n’étoient qu’à une portée de carabine des nôtres, toute la nuit précédente en grand silence, et y avoient laissé leurs feux tant qu’ils avoient pu durer, et en même temps retiré tout ce qu’ils avoient de canons en batteries ; et l’artillerie qui n’y étoit pas et leurs bagages, [ils] les avoient fait passer à Worms avec quelque peu de troupes sur leur pont de bateaux qu’ils défirent aussitôt après. Leur armée marcha fort vite à Mayence où elle repassa le Rhin, dédaigna de prendre Eberbourg et Kirn, deux bons châteaux qu’il ne tenoit qu’à eux de prendre, et se mit aussitôt après en quartiers de fourrage, non sans force querelles entre les généraux, enragés d’avoir tant éclaté en menaces et en grands projets et de n’avoir pu rien exécuter. Cela fut uniquement dû à la capacité et à la fermeté tout ensemble du maréchal de Choiseul, qui laissa tonner la cour, crier ses premiers officiers généraux, intriguer M. d’Harcourt, sans s’ébranler en aucune sorte.

Le lendemain de cette retraite, nous fûmes voir leurs camps et leurs travaux, et nous admirâmes les peines qu’ils eurent sans doute à guinder leur canon si haut, et le reste de leurs ouvrages qui nous parurent prodigieux. Les fourrages leur manquoient, ils tiroient de fort loin leurs vivres, tout enfin les avoit obligés à la retraite. Le maréchal avoit gardé toutes les lettres du marquis d’Harcourt et la copie de ses réponses. Il avoit mis un petit commentaire concis et fort, en marge, vis-à-vis des endroits qui le demandoient et avoit envoyé tout cela au roi dans un grand cahier.

N’y ayant plus rien à faire et les troupes allant dans leurs quartiers de fourrage, je voulus m’en aller à Paris. Le mois d’octobre étoit fort avancé, Mme de Saint-Simon avoit perdu M. Frémont, père de Mme la maréchale de Lorges, et elle étoit en même temps heureusement accouchée de ma fille le 8 septembre. Le maréchal me le permit ; il m’avoit traité avec tant de politesse et d’attention que je m’attachai à lui,