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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/447

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le bien regarder à son point. De là, nous le conduisîmes en un autre endroit où nous étions bien sûrs qu’il ne seroit vu ni interrompu de personne. Rigault le trouva fort à propos pour le jour et la lumière, et il y porta aussitôt tout ce qu’il lui falloit pour l’exécution.

L’après-dînée, je présentai mon officier à M. de la Trappe ; il s’assit avec nous dans la situation qu’il avoit remarquée le matin, et demeura environ trois quarts d’heure avec nous. Sa difficulté de parler lui fut une excuse de n’entrer guère dans la conversation, d’où il s’en alla jeter sur sa toile toute préparée les images et les idées dont il s’étoit bien rempli. M. de la Trappe, avec qui je demeurai encore longtemps, et que j’avois moins entretenu que songé à l’amuser, ne s’aperçut de rien, et plaignit seulement l’embarras de la langue de cet officier. Le lendemain, la même chose fut répétée. M. de la Trappe trouva d’abord qu’un homme qu’il ne connoissoit point, et qui pouvoit si difficilement mettre dans la conversation, l’avoit suffisamment vu, et ce ne fut que par complaisance qu’il ne voulut pas me refuser de le laisser venir. J’espérois qu’il n’en faudroit pas davantage, et ce que je vis du portrait me le confirma, tant il me parut bien pris et ressemblant ; mais Rigault voulut absolument encore une séance pour le perfectionner à son gré : il fallut donc l’obtenir de M. de la Trappe, qui s’en montra fatigué, et qui me refusa d’abord, mais je fis tant, que j’arrachai plutôt que je n’obtins de lui cette troisième visite. Il me dit que, pour voir un homme qui ne méritoit et qui ne désiroit que d’être caché, et qui ne voyoit plus personne, tant de visites étoient du temps perdu et ridicules ; que pour cette fois il cédoit à mon importunité, et à la fantaisie que je protégeois d’un homme qu’il ne pouvoit comprendre, et qui ne se connoissoient ni n’avoient rien à se dire ; mais que c’étoit au moins à condition que ce seroit la dernière fois et que je ne lui en parlerois plus. Je dis à Rigault de faire en sorte de n’avoir plus à y revenir, parce qu’il n’y avoit plus moyen de l’espé-