Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/450

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peiné à l’excès, touché et affligé ; toutefois il ne put me garder de colère. Il me récrivit que je n’ignorois pas qu’un empereur romain disoit : qu’il aimoit la trahison, mais qu’il n’aimoit pas les traîtres ; que pour lui il pensoit tout autrement, qu’il aimoit le traître, mais qu’il ne pouvoit que haïr sa trahison. Je fis présent à la Trappe de la copie en grand, d’une en petit, et de deux en petit, c’est-à-dire en buste, à M. de Saint-Louis et à M. Maisne, que j’envoyai tout à la fois. M. de la Trappe avoit depuis quelques années la main droite ouverte, et ne s’en pouvoit servir. Dès que j’eus mon original où il est peint, la plume à la main, assis à son bureau, je fis écrire cette circonstance derrière la toile, pour qu’à l’avenir elle ne fît point erreur, et surtout la manière dont il fut peint de mémoire, pour qu’il ne fût pas soupçonné de la complaisance de s’y être prêté. J’arrivai à Paris la veille que le roi devoit arriver de Montargis à Fontainebleau avec la princesse, et je m’y trouvai à la descente de son carrosse. J’avois espéré de cacher ainsi parfaitement mon petit voyage.

Avant de parler de la princesse de Savoie, il faut dire un mot de ce qui se passoit en Italie. M. de Savoie, tout à fait déclaré et enhardi en même temps par une manière de défaite assez considérable des Impériaux en Hongrie par le Grand Seigneur en personne, parla plus haut sur la neutralité. Leganez, gouverneur du Milanois, se laissoit entendre qu’il avoit les pleins pouvoirs d’Espagne ; Mansfeld, commissaire général de l’empereur en Italie, s’y opposoit toujours de sa part. On comprit ce manège, et pour le mettre au net, M. de Savoie s’alla mettre le 15 septembre à la tête de l’armée du maréchal Catinat, pour entrer dans le Milanois, et fit le siège de Valence. Sur quoi les alliés, qui n’avoient rien voulu conclure avec le marquis de Saint-Thomas que M. de Savoie leur avoit envoyé à Milan, lui déclarèrent la guerre dans toutes les formes ; et, pour la faire compter comme bien certaine, envoyèrent en même temps le cartel pour l’échange des prisonniers qui se feroient de