Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/456

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faire aimer. Il demeura, tôt après et avant même de partir, premier plénipotentiaire, parce que Courtin qui perdoit les yeux s’excusa. C’étoit un très-petit homme, bellot, d’une figure assez ridicule, mais plein d’esprit, de sens, de jugement, de maturité et de grâces, qui avoit vieilli dans les négociations, longtemps ambassadeur en Angleterre, et qui avoit plu et réussi partout. Il avoit été ami intime de M. de Louvois. Le roi lui parloit toutes les fois qu’il le voyoit, et le menoit même quelquefois à Marly, et c’étoit le seul homme de robe qui eût cette privance, et la distinction encore de paroître devant le roi et partout sans manteau comme les ministres. Pelletier de Sousy, frère du ministre, l’usurpa à son exemple depuis que le roi lui eut donné les fortifications, à la mort de M. de Louvois, qui le faisoient aller à Marly, mais seulement coucher deux nuits pour ses jours d’y travailler avec le roi.

Pour mieux faire connoître ces deux hommes qui ont tant influé au dehors, surtout Courtin, aux principales affaires, j’en veux rapporter deux aventures de leur vie. Tous deux étoient amis de M. de Chaulnes. Courtin étant intendant en Picardie, M. de Chaulnes lui recommanda fort ses belles terres de Chaulnes, Magny et Picquigny, qui sont d’une grande étendue, et Courtin ne put lui refuser le soulagement qu’il demandoit. La tournée faite, M. de Chaulnes fut fort content, et il espéra que cela continueroit de même ; mais Courtin, venu à l’examen de ses impositions, trouva qu’il avoit fort surchargé d’autres élections de ce qu’il avoit ôté aux terres de M. de Chaulnes. Cela alloit loin, le scrupule lui en prit ; il n’en fit pas à deux fois, il rendit du sien ce qu’il crut avoir imposé de trop à chaque paroisse par le soulagement qu’il avoit fait à celles de M. de Chaulnes, et quitta l’intendance sans que le roi l’y pût retenir. Le roi avoit tant de confiance en lui pour les affaires de la paix, qu’il le pressa de demeurer plénipotentiaire en consentant que Mme de Varangeville sa fille en eût le secret et écrivît