Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/457

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tout sous lui, mais il ne put se résoudre au voyage ni au travail. Avec ses yeux sa santé diminuoit. Il avoit été fort galant et avoit passé toute sa vie dans les affaires et dans le plus grand monde, où il étoit fort goûté, et il voulut absolument mettre un intervalle entre la vie et la mort ; aussi ne parut-il guère depuis et demeura fort retiré chez lui.

M. d’Harlay, avec une figure de squelette et de spectre, étoit galant aussi. Le chancelier Boucherat, son beau-père, étoit ami intime de M. de Chaulnes, et M. de Chaulnes, au temps de cette aventure, étoit aux couteaux tirés avec M. de Pontchartrain, premier président du parlement de Rennes tous deux en Bretagne, et tous deux remuant l’un contre l’autre tout ce qu’ils pouvoient à la cour, à qui auroit le dessus dans leurs prétentions. Pontchartrain étoit aussi fort galant, et il avoit à Paris un commerce de lettres avec une femme avec qui il étoit fort bien, et qui avoit la confiance de tous ses ressorts contre M. de Chaulnes. Le diable fit qu’Harlay devint amoureux de cette même femme, et qu’elle crut tout accommoder, en ne se rendant pas cruelle au nouvel amant pour mieux servir l’autre. Le chancelier étoit instruit de tout par M. de Chaulnes, il étoit déclaré pour lui contre Pontchartrain. Tout ce qui se tramoit pour l’un contre l’autre se passoit sous les yeux de Boucherat, et fort souvent par son ministère. Il aimoit passionnément Mme d’Harlay, sa fille, et ne cachoit rien à Harlay qui logeoit avec lui. L’amour corrompit ce dernier jusqu’à livrer son ami à sa maîtresse, et à lui rendre compte de tout ce qui se passoit de plus secret contre Pontchartrain.

Ce manége eut à peine duré deux ou trois mois, qu’il se présenta une question fort importante pour les deux ennemis, sur laquelle tous les ressorts furent mis en mouvement de part et d’autre. Au plus fort de ces intrigues, Harlay vint de Versailles descendre chez sa dame qui trouva son récit si important, qu’elle exigea de lui de mettre par écrit toute sa découverte, tandis qu’elle écriroit à part à Pontchartrain