Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/462

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qui ne craignoit de déplaire au roi ni aux ministres pour dire la vérité, et ce qu’il pensoit et pourquoi jusqu’au bout, et qui les faisoit très-souvent revenir à son avis.

Le roi traitoit une autre affaire pour laquelle il avoit hâté le retour des princes de l’armée, pour qu’il ne parût auquel d’eux il avoit à parler. L’abbé de Polignac, ambassadeur en Pologne, crut y voir jour à l’élection en faveur de M. le prince de Conti. Il le manda, et le roi, qui ne demandoit pas mieux que de se défaire d’un prince de ce mérite si universellement connu, et qu’il n’avoit jamais pu aimer, tourna toutes ces pensées à le porter sur ce trône. Les candidats qui s’y présentoient étoient les électeurs de Bavière, Saxe et palatin, le duc de Lorraine ; et bien que les Polonois se déclarassent contre tout Piaste[1], les fils du feu roi y auroient eu grande part, tant par une coutume assez ordinaire que par le mérite d’un aussi grand homme que l’étoit J. Sobieski, si l’avarice extraordinaire de la reine, qui avoit tout vendu et rançonné, et la hauteur de ses manières n’eût rendu ses enfants odieux à cause d’elle, et si elle eût été plus d’accord avec eux. Jacques, l’aîné, étoit fort mal avec elle, niais il étoit né avant l’élection de son père, ce qui le défavorisoit fort ; il étoit d’ailleurs peu aimé, et son mariage avec une palatine, sœur de l’impératrice, le rendoit suspect. L’empereur le portoit, sa mère le traversoit ; elle vouloit un de ses deux cadets ; mais ses trésors lui étoient plus chers encore. Bavière étoit son gendre, avoit pour lui la mémoire du feu roi et d’être homme de guerre. Saxe avoit aussi cette dernière qualité et son voisinage, qui avoit fait connoître la douceur de ses mœurs et sa libéralité. Le duc de Lorraine étoit fils d’une sœur de l’empereur, qui avoit été reine de Pologne, et d’un des plus grands capitaines de son siècle, plus effectivement porté par l’empereur que Jacques Sobieski. Enfin le prince Louis de Bade se mit

  1. On appelait ainsi les rois de Pologne qui étaient eux-mêmes Polonais, comme Jean Sobieski.