Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/478

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acquis le nom de Goliath. Il souffrit longtemps les hauteurs et les mépris de sa femme et de sa famille. À la fin, lui et son père s’en lassèrent, et ils emmenèrent Mme de Valentinois à Monaco. Elle se désola et ses parents aussi, comme si on l’eût menée aux Indes. On peut juger que le voyage et le séjour ne se passèrent pas gaiement. Toutefois, elle promit merveilles, et au bout d’une couple d’années de pénitence, elle obtint son retour. Je ne sais qui fut son conseil, mais, sans changer de conduite, elle songea aux moyens de se garantir de retourner à Monaco, et pour cela fit un éclat épouvantable contre son beau-père, qu’elle accusa non seulement de lui en avoir conté, mais de l’avoir voulu forcer. M. le Grand, Mme d’Armagnac, leurs enfants, prirent son parti ; et ce fut un vacarme le plus scandaleux, mais qui ne persuada personne. M. de Monaco n’étoit plus jeune. Il étoit fort honnête homme et avoit toujours passé pour tel ; d’ailleurs il avoit deux gros yeux d’aveugle, éteints, et qui en effet ne distinguoient rien à deux pieds d’eux, avec un gros ventre en pointe, qui faisoit peur tant il avançoit en saillie. L’éclat ne fut pas moins grand de sa part et de celle de son fils contre une si étrange calomnie, et la séparation devint plus forte que jamais.

Au bout de quelques années, ils s’avisèrent qu’ils n’avoient point d’enfants, et que Mme de Valentinois, nageant dans les plaisirs de la cour, sous l’abri de sa famille, jouissoit seule de son crime, et se moquoit d’eux. Ils prirent donc leur parti. M. de Valentinois redemanda sa femme ; d’abord on se moqua de lui chez elle ; mais bientôt l’embarras succéda. Les dévots s’en mêlèrent. L’archevêque de Paris parla à Mme d’Armagnac, et M. de Monaco protesta qu’il ne verroit jamais sa belle-fille, et qu’il lui défendoit de se trouver en aucun lieu où il seroit. Tout cela ensemble fut un coup de foudre. Il fallut céder, et le 27 janvier, Mme d’Armagnac, accompagnée du prince Camille son troisième fils, et de la princesse d’Harcourt, mena sa fille à Paris chez le duc de