Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/502

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la reine, d’une vertu aimable, et toute sa vie dans la piété, quoique enfoncée dans la cour et dans le plus grand monde. Elle s’appeloit Boyer, et n’étoit rien. Sa mère étoit Wignacourt, nièce et petite-nièce des deux grands maîtres de Malte de ce nom. Les biens avoient fait le mariage de sa mère qui n’avoit rien, et le sien ensuite. Dès qu’elle fut veuve, elle se retira peu à peu du monde, et bientôt après à Châlons auprès de son fils, dont elle fit son directeur, et à qui tous les soirs de sa vie elle se confessoit avant de s’aller coucher. Elle l’avoit suivi à Paris et elle y mourut dans l’archevêché très-saintement comme elle avoit vécu, et ce fut une grande douleur pour son fils l’archevêque. Elle avoit une sœur femme d’un marquis de Ligny, mère de la princesse de Furstemberg, et une autre sœur femme de Tambonneau, président de la chambre des comptes, et mère de Tambonneau qui eut la même charge, et qui fut longtemps ambassadeur en Suisse. Cette Mme Tambonneau étoit riche, bien logée et meublée, et avoit trouvé le moyen de voir chez elle la meilleure et la plus importante compagnie de la cour et de la ville, sans donner à jouer ni à manger. Princes du sang, grands seigneurs dans les premières charges, généraux d’armée, grandes dames n’en bougeoient. La jeunesse en étoit bannie, et n’y étoit pas admis qui vouloit. Elle ne sortoit presque point de chez elle, et s’y faisoit respecter comme une reine. Cela est si singulier que je l’ai voulu rapporter.

Coulons à fond les prélats. M. de Troyes surprit beaucoup le monde par sa belle et courageuse retraite. Il étoit fils de Chavigny, cet honnête secrétaire d’État dont j’ai parlé, et petit-fils de Bouthillier, surintendant des finances. Il eut des bénéfices de bonne heure, fut aumônier du roi, devint, jeune, évêque de Troyes. Il avoit du savoir et possédoit de plus les affaires temporelles du clergé mieux qu’aucun de ce corps, en sorte qu’il étoit de presque toutes les assemblées du clergé et qu’il brilloit dans toutes. Il avoit de plus bien de l’esprit, et plus que tout l’esprit du monde, le badinage