Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/174

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l’avenue. Bientôt il la trouve longue, après il va aux arbres et n’en trouve plus. Il s’aperçoit qu’il a passé le bout et revient à tâtons chercher les arbres. Il les suit à l’estime, puis croise et ne trouve point sa maison. Il ne comprend point cette aventure. La nuit se passe dans cet exercice, le jour arrive et devient bientôt assez clair pour aviser sa maison. Il ne voit rien, il se frotte les yeux, il cherche d’autres objets pour découvrir si c’est la faute de sa vue. Enfin il croit que le diable s’en mêle, et qu’il a emporté sa maison. À force d’aller, de venir, et de porter sa vue de tous côtés y il aperçoit, à une assez grande distance de l’avenue, une maison qui ressemble à la sienne comme deux gouttes d’eau. Il ne peut croire que cela soit ; mais la curiosité le fait aller où elle est, et où il n’a jamais vu de maison. Plus il approche, plus il reconnoît que c’est la sienne. Pour s’assurer mieux de ce qui lui tourne la tête, il présente sa clef, elle ouvre, il entre, il retrouve tout ce qu’il y avoit laissé, et précisément dans la même place. Il est prêt à en pâmer, et il demeure convaincu que c’est un tour de sorcier. La journée ne fut pas bien avancée que la risée du château et du village l’instruisit de la vérité du sortilège, et le mit en furie. Il veut plaider ; il veut demander justice à l’intendant ; et partout on s’en moque. Le roi le sut qui en rit aussi, et Charnacé eut son avenue libre.

S’il n’avoit jamais fait pis il auroit conservé sa réputation et sa liberté.

Comme presque tout ce que j’ai écrit depuis que j’ai parlé de la brillante ambassade de milord Portland s’est passé pendant qu’il étoit ici, je ne ferai point de difficulté d’ajouter en cet endroit un oubli que j’ai fait sur son entrée, dont je n’ai rien dit, parce qu’à la magnificence près, elle se passa comme toutes les autres ; mais il y eut une difficulté. Depuis que Mme de Verneuil fut, à sa grande surprise à elle-même, devenue princesse du sang, elle avoit envoyé son carrosse aux entrées des ambassadeurs qui n’y