Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/241

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l’eussent accoutumé à leurs entreprises, mais elles se produisirent hautement dès le lendemain de son mariage, au premier cercle qu’elle tint. Les princesses ne se mirent plus au-dessous des duchesses : après, elles prétendirent la droite, et l’eurent souvent par leur concert et leur diligence. Ils avoient affaire à une dame d’honneur qui craignoit tout, qui vouloit être l’amie de tout le monde, qui n’ignoroit pas la prédilection de Mine de Maintenon, qui trembloit devant elle, et qui, basse et de fort peu d’esprit, se trouvoit toujours embarrassée, et n’y savoit d’issue qu’en souffrant tout et laissant tout entreprendre, et l’âge de Mine la duchesse de Bourgogne ne lui permettoit ni de savoir ce qui devoit être, ni d’imposer.

Tel étoit l’état des choses à cet égard, quand les Lorrains, lassés de leurs faibles avantages de diligence et de ruse où ils se trouvoient quelquefois prévenus, résolurent d’en usurper de plus réels et se crurent en état de les emporter. Soit hasard ou dessein prémédité, le leur éclata à la première audience que milord Jersey eut de Mme la duchesse de Bourgogne, le mardi 6 janvier de cette année. De part et d’autre, les dames arrivèrent avant qu’on pût entrer. Les duchesses, qui s’étoient trouvées les plus diligentes, se trouvèrent les premières à la porte et entrèrent les premières. La princesse d’Harcourt et d’autres Lorraines suivirent. La duchesse de Rohan se mit la première à droite. Un moment après, avant qu’on fût assis, et comme les dernières arrivoient encore, titrées et non titrées (et il y avoit grand nombre de dames), la princesse d’Harcourt se glisse derrière la duchesse de Rohan, et lui dit de passer à gauche. La duchesse de Rohan répond qu’elle se trouvoit bien là, avec grande surprise de la proposition, sur quoi la princesse d’Harcourt n’en fait pas à deux fois, et grande et puissante comme elle étoit, avec ses deux bras lui fait faire la pirouette, et se met en sa place. Mme de Rohan ne sait ce qui lui arrive, si c’est un songe ou vérité, et, voyant qu’il